Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/167

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véritable baronnet anglais, entièrement à lui dans une petite chambre, et son orgueil se repaissait de la gloire d’avoir une pareille connaissance.

Qu’étaient les fiers et arrogants Effingham auprès de sir George Templemore ? Il attribuait même leur réserve avec le baronnet à l’envie, passion dont il connaissait parfaitement l’existence, et il trouvait un charme secret à occuper un petit appartement avec un homme qui pouvait exciter l’envie d’un Effingham. Plutôt que d’abandonner sa prise aristocratique, dont il avait dessein de faire parade aux yeux de ses amis les démocrates de son voisinage, il se détermina à oublier qu’il était pressé, et à chercher sa récompense dans le plaisir qu’il aurait à parler à l’avenir de sir George Templemore et de ses curiosités, et à citer dans son cercle ses propres plaisanteries et ses bons mots. Quelque étrange que cela puisse paraître, M. Dodge avait d’ailleurs le plus vif désir de rester avec les Effingham ; car, quoiqu’il souffrît que l’envie et le sentiment intime de son infériorité engendrassent la haine il était prêt à faire la paix à chaque instant, à condition d’être admis franchement dans leur intimité. Quant à la famille innocente qui était devenue d’un si grand intérêt pour le bonheur de M. Dodge, elle songeait rarement à lui, ne se doutait guère qu’elle fût si souvent l’objet de ses pensées, et si elle n’aimait pas sa société, c’était uniquement par suite des principes élevés et du goût cultivé qui la caractérisaient. Elle se croyait le droit d’agir à cet égard comme bon lui semblait, d’autant plus qu’avec toute la réserve du savoir-vivre, les membres qui la composaient ne se permettaient jamais des remarques critiques allant jusqu’à la personnalité, et encore moins le commérage.

Par suite de ces sentiments contradictoires de M. Dodge, de l’amour de sir George Templemore pour ses aises, de l’intérêt que prenaient à Ève ses deux admirateurs, du dévouement de M. Lundi au madère et au champagne, et de la détermination de M. Effingham, ces individus continuèrent seuls à occuper les chambres du Montauk. Quant aux οι πολλοι qui les avaient quittés, nous n’en avons rien dit parce que ce prompt départ devait les isoler de l’intérêt de notre histoire.

Si nous disions que le capitaine Truck n’eut pas quelques idées mélancoliques quand il vit le bâtiment de transport disparaître à l’horizon, nous représenterions le brave marin comme plus stoïcien qu’il ne l’était réellement. Pendant le cours d’une longue vie qui avait été entièrement consacrée à sa profession, il avait éprouvé des accidents ; mais depuis qu’il commandait un paquebot, c’était la première fois qu’il avait été obligé d’appeler à son aide un bâtiment