Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/170

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dit le capitaine après avoir promené ses regards sur tout le firmament. Demain à huit heures du matin, rappelez tout le monde sur le pont, et nous travaillerons à faire un brick de notre vieux bâtiment. Ce mât de hune sera en état de soutenir l’effort de la grande vergue de fortune, à moins qu’il ne survienne un autre ouragan ; et en prenant les ris de la nouvelle grande voile, nous pourrons en tirer quelque service. Le mât de perroquet pourra nous servir de mât de hune, et en donnant un peu de largue dans les voiles, nous pourrons nous en tirer. Au besoin nous pourrons peut-être aussi lui faire porter une bonnette. Nous n’avons pas de mâts pour d’autres voiles, et pourtant il faudra tâcher de trouver quelque chose pour l’arrière parmi les mâts de rechange que nous avons obtenus du transport. Vous pouvez faire cesser tout travail quand on piquera quatre coups[1], monsieur Leach, et laisser les pauvres diables passer en paix leur nuit du samedi. C’est un assez grand malheur d’être démâté, sans être encore privé de son grog.

M. Leach exécuta tous ces ordres, et une calme et magnifique soirée se termina par toute la gloire d’une nuit douce, sous une latitude aussi basse que celle où était alors le Montauk. Ceux qui n’ont jamais vu l’Océan dans de telles circonstances ne connaissent pas les charmes qu’il offre dans ses instants de repos. L’expression de repos s’applique parfaitement à la tranquillité dont il jouissait alors, car les longues vagues indolentes sur lesquelles le bâtiment s’élevait, et avec lesquelles il retombait, en ridaient à peine la surface. La lune ne se leva qu’à minuit, et Ève, accompagnée de mademoiselle Viefville, se rendit sur le pont ainsi que les autres passagers, et s’y promena à la clarté des étoiles jusqu’à ce qu’elle fût fatiguée.

Pendant ce temps on entendait souvent rire et chanter sur le gaillard d’avant, où les matelots célébraient la nuit du samedi, et les toasts qu’ils portaient n’étaient pas toujours exempts de quelque expression grossière. Mais l’amour de la gaieté céda bientôt à la fatigue, et ceux qui n’étaient pas de quart ne tardèrent pas à aller retrouver leurs hamacs, laissant ceux qui devaient rester sur le pont y chercher quelque coin pour s’y reposer.

— Un grain qui n’obscurcirait seulement pas le ciel, dit le capi-

  1. On ne se sert pas d’horloge à bord des bâtiments ; on emploie des salinières, qui durent une demi-heure, et les heures s’indiquent en frappant sur une cloche de demi-heure en demi-heure. Le jour commence à midi, heure qui est déterminée par la hauteur du soleil, et qui marque le commencement d’un quart, dont chacun dure quatre heures. À midi et demi on frappe un coup ; deux à une heure, et ainsi de suite, un coup de plus de demi-heure en demi-heure jusqu’à quatre heures, où l’on frappe huit coups, ce qui annonce la fin du quart et le commencement d’un autre ; pendant lequel on recommence à marquer chaque demi-heure de la même manière. Le mot piquer est un terme de marine employé pour frapper.