Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/394

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tendirent rire dans la grande chambre comme auparavant. Une heure ainsi passée fit renaître quelque chose de l’accord et de la liberté qui règnent parmi les passagers sur un bâtiment quand la glace a été une fois rompue, et l’on commença même à tolérer la présence de M. Dodge. Malgré sa conduite le jour du combat avec les Arabes, il avait réussi à maintenir son terrain près du soi-disant baronnet à force de flatteries et de bassesses, et sa lâcheté honteuse avait inspiré aux autres plus de pitié que d’indignation. Personne ne dit un seul mot de sa désertion au moment critique, et pourtant il ne pardonna jamais à aucun de ceux qui en avaient été témoins. On regardait sa conduite comme le résultat d’une infirmité naturelle et invincible, qui devait attirer sur lui la compassion plutôt que les reproches. Encouragé par le silence qu’on gardait sur ce sujet, il commençait à se flatter qu’au milieu de la confusion du combat on n’avait pas remarqué son absence, et il poussa l’audace jusqu’à vouloir faire croire à M. Sharp qu’il avait été du nombre de ceux qui étaient partis sur la chaloupe du bâtiment danois pour ramener au récif celle du Montauk et le radeau, après que le paquebot avait été repris aux Arabes. Il est vrai que ce qu’il dit à ce sujet fut écouté avec une froideur glaciale ; mais elle était accompagnée de tant d’indulgence et de savoir-vivre, qu’il ne désespéra pas de réussir une autre fois à convaincre M. Sharp de la vérité de ce qu’il lui disait ; et pour mieux y parvenir, il aurait voulu pouvoir y croire lui-même. Mais il avait existé tant de confusion dans toutes ses facultés pendant le combat, qu’il se plaisait à croire que les autres n’avaient pas été plus en état que lui de distinguer les choses bien exactement.

Quand le punch eut circulé quelque temps, le capitaine Truck invita l’éditeur du Furet Actif à régaler la compagnie de quelques nouveaux extraits de son journal. M. Dodge ne se fit pas presser, et il alla chercher dans sa chambre le précieux recueil de ses observations et de ses opinions, convaincu que tout était oublié, et qu’il allait reprendre parmi les passagers la place qui était due à son mérite. Quant aux quatre individus qui avaient vu les lieux que M. Dodge prétendait décrire, ils se préparèrent à l’écouter, comme des hommes du monde écouteraient les commentaires superficiels ou absurdes d’un ignorant, mais avec l’espoir d’y trouver quelque amusement.

— Je propose de changer la scène et de la placer à Londres, dit le capitaine Truck, afin qu’un homme comme moi, qui est tout simplement un marin, puisse juger du mérite de l’écrivain. Je ne doute