Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/440

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l’Italie, pour voir avec enthousiasme les villages maigres et les maisons de campagne du genre le plus commun qui bordent plus ou moins les rives de la baie de New-York. Mais quand ils arrivèrent à un point où les deux rivières, séparées par la ville, se présentèrent à leurs yeux, avec les hauteurs de Brooklyn d’un côté et la muraille des palissades de l’autre, Ève déclara que cette vue était positivement belle.

— Vous avez bien choisi l’endroit, dit John Effingham ; oui, elle est belle, mais voilà tout ; elle n’offre rien qui soit admirable.

— Mais c’est notre pays, cousin John !

— C’est notre pays, miss Effingham, répondit John en bâillant ; mais comme vous n’avez pas de cargaison à vendre, je crains que vous ne le trouviez excessivement ennuyeux.

— Nous verrons, répliqua Ève en riant, nous verrons. Ayant regardé quelques instants autour d’elle, elle ajouta d’un ton enjoué qui annonçait un dépit, moitié réel, moitié affecté : J’avoue que je suis désappointée en une chose.

— Vous serez fort heureuse, ma chère Ève, si vous ne l’êtes qu’en une seule.

— Ces petits bâtiments sont moins pittoresques que ceux que j’ai été accoutumée à voir.

— Votre critique est fort juste ; et si vous approfondissez peu le sujet, vous découvrirez ce qui manque à cette baie américaine. La grande hauteur des mâts de tous les bâtiments qui flottent sur ces eaux, comparée à une côte basse et presque nivelée aux bords de la rivière et à la formation générale du pays, produit l’effet de diminuer encore davantage les contours de chaque objet, vu en détail. Majestueux comme il l’est et hors de toute comparaison, le Hudson le paraîtrait encore plus sans ces mâts gigantesques et sans grâce.

Le pilote commença alors à diminuer de voiles, et le paquebot entra dans ce bras de mer que, par un abus de nom qui est particulièrement américain, la mode veut qu’on appelle la Rivière de l’Est. Là, Ève exprima naïvement son désappointement, la ville lui paraissant ignoble et insignifiante. La batterie, qu’elle se rappelait un peu et dont elle avait beaucoup entendu parler, trompa complètement son attente, car elle n’y trouva ni l’étendue et la magnificence d’un parc, ni la beauté soignée et l’ombre agréable d’un jardin. Comme on lui avait dit que ses concitoyens n’avaient pas encore fait de grands progrès dans l’art de dessiner des jardins pittoresques, elle ne fut pourtant pas si mécontente de cette promenade, que de l’air