Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/51

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avoir contracté les mêmes habitudes et couru les mêmes hasards. L’équipage riait à voix basse, et de temps en temps un coup d’œil de curiosité cherchait à voir quelle était la situation du cutter ; mais là se terminait tout l’effet de l’incident que nous venons de rapporter, du moins en ce qui concerne les matelots.

Il n’en était pas de même des passagers. Les Américains triomphaient de l’échec qu’avait éprouvé le cutter d’un bâtiment de guerre anglais, et les Anglais ne savaient qu’en penser. La soumission à la couronne était en eux un sentiment habituel, et ils n’étaient pas contents de voir un étranger jouer un pareil tour à un cutter de la marine royale, dans ce qu’ils regardaient assez justement comme les eaux britanniques. À strictement parler, le Montauk était peut-être encore sous la dépendance des lois anglaises, quoiqu’il se fût trouvé à une lieue de terre, quand il était à l’ancre ; et, en ce moment, la marée et sa propre vitesse avaient au moins doublé la distance. Dans le fait, il en était alors, si éloigné, que le capitaine Truck crut qu’il était de son devoir d’en finir avec le procureur.

— Eh bien ! monsieur Seal, dit-il, je suis très-reconnaissant du plaisir que vous m’avez fait de m’accompagner jusqu’ici ; mais vous n’excuserez si je vous dis que je ne me soucie pas de vous conduire, vous et M. Grab, tout à fait jusqu’en Amérique. Dans une demi-heure, vous serez à peine en état de retrouver votre île ; car, dès que nous serons à une distance convenable du cutter, je gouvernerai au sud-ouest, et vous devez songer aux inquiétudes qu’auront vos dames.

— Cette affaire peut avoir des suites très-sérieuses quand vous reviendrez à Portsmoush, capitaine Truck ; on ne se joue pas impunément des lois anglaises. Voudriez-vous bien donner ordre qu’on m’apporte un verre d’eau ? Je vois qu’attendre justice est un devoir qui altère.

— Bien fâché de ne pas pouvoir vous satisfaire, monsieur. Vattel ne parle pas de l’obligation de fournir de l’eau aux belligérants ou aux neutres, et le congrès m’oblige d’emporter tant de gallons d’eau par homme. Si vous voulez boire à mon heureux voyage en Amérique, et à votre retour sans accident en Angleterre, ce sera avec du champagne, si vous aimez ce liquide agréable.

Le procureur allait donner son assentiment à un compromis offert à de pareilles conditions, quand la femme de Davis lui mit en main un verre plein du premier breuvage qu’il avait demandé ; il le vida, et se détourna d’elle avec l’air de dureté d’un homme qui n’avait jamais souffert qu’un mouvement de sensibilité fût un obstacle à sa