Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/55

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paix profonde, quand il est en pleine mer, comme y sera bientôt le Montauk, — en supposant qu’il n’y soit pas encore à présent, c’est, je crois, ce dont on ne peut raisonnablement douter. La querelle, s’il y en a une, est maintenant devenue un sujet de négociation ; la réparation doit être demandée par les agents généraux des deux nations, et ne doit pas être imposée par les officiers inférieurs de l’une des deux parties. Du moment que le Montauk a atteint la grande route de toutes les nations, il est sous la juridiction exclusive du pavillon sous lequel il vogue.

— Vattel, mot pour mot ! dit le capitaine en faisant un signe d’approbation et en secouant de nouveau les cendres de son cigare.

John Effingham était un homme ayant des opinions fortement prononcées, ce qui veut dire souvent des préjugés fortement enracinés ; il avait été élevé, trente ou quarante ans auparavant, sous l’influence des opinions anglaises, qui pesaient alors comme un cauchemar sur les intérêts nationaux de l’Amérique. Il est vrai que M. Effingham était, dans tous les sens, le contemporain, comme il avait été le compagnon d’études de son cousin ; qu’ils s’aimaient comme des frères ; qu’ils avaient dans toutes les choses essentielles la plus grande confiance dans les principes l’un de l’autre ; qu’ils pensaient l’un comme l’autre sur mille sujets ; mais quant à la domination anglaise, il était peut-être impossible de trouver deux hommes qui se ressemblassent moins que le cousin veuf et le cousin célibataire.

Édouard Effingham avait un jugement singulièrement juste. Étant encore fort jeune quand il avait hérité de son domaine, il avait passé plusieurs années dans une retraite qui, en l’éloignant de la lutte du monde, avait laissé à une sagacité cultivée la possibilité d’agir librement sur ses dispositions naturelles. À l’époque où toute la république offrait le honteux spectacle d’une nation déchirée par des factions opposées, qui prenaient leur source dans des intérêts étrangers aux siens, quand la plupart de ses compatriotes étaient Anglais ou Français, il était resté ce que la nature, les lois et la raison voulaient qu’il fût, — Américain. Jouissant de l’otium cum dignitate sur son domaine et dans sa maison héréditaire, Édouard Effingliam, avec peu de prétentions à la grandeur et beaucoup de droits à l’estime due à la vertu, avait suivi la ligne de vérité que tant de « demi-dieux » de la république, sous l’influence de leurs passions, ou stimulés par les intérêts passagers et mobiles du jour, n’apercevaient pas ; ou, s’ils la voyaient, ils n’en faisaient aucun compte. On n’aurait pu trouver un homme moins accessible que lui