CHAPITRE VII.
es conversations n’étaient pourtant que des épisodes de la grande
affaire du voyage. Pendant toute la matinée, le capitaine fut occupé
à donner de l’ouvrage à ses officiers, à faire de vertes réprimandes
au maître d’hôtel et aux cuisiniers, à jeter le loch, à présenter ses
passagers les uns aux autres, à faire mettre les ancres à poste, à
citer des fragments de Vattel, et à veiller à ce que chacun s’acquittât
de son devoir. Pendant tout ce temps, le chat caché dans l’herbe
n’épie pas avec plus de soin l’oiseau qui sautille par terre, qu’il ne
surveillait la corvette l’Écume. À des yeux ordinaires, les deux bâtiments
n’offraient que le spectacle fort simple de deux navires voguant
dans la même direction et avec une vitesse à peu près égale ;
et comme c’était la route qu’il fallait suivre pour sortir de la Manche,
presque tous les passagers et même une grande partie de équipage
commençaient à croire que l’Occident était la destination du croiseur
comme la leur. Cependant M. Truck pensait différemment, d’après
des signes et des mouvements à bord de la corvette, qui se faisaient
remarquer plus naturellement à un homme habitué à diriger les évolutions
d’un bâtiment et à raisonner sur leur but, qu’a ceux qui
n’étaient que les instruments de sa volonté. Le motif du moindre
changement qui avait lieu dans la manœuvre de la corvette était
aussi évident pour lui que si on le lui eût expliqué, et il prévoyait
même quelquefois ceux qui allaient se faire. Avant midi, la corvette
lui restait droit par le travers, et M. Leach, lui faisant remarquer
cette circonstance, lui dit que si elle voulait visiter le Montauk, elle
devrait virer de bord ; car c’est la règle parmi les marins que le bâtiment
qui est en chasse gagne du vent dès qu’il approche de celui
qu’il poursuit. Mais l’expérience du capitaine Truck lui apprenait à
mieux juger de l’état des choses. Ayant flot, la marée montait dans
le canal, et les deux bâtiments recevaient le courant sous le vent,
force qui les portait au vent, au lieu qu’en virant vent devant,
l’Écume aurait rencontré toute la force du courant par le travers du
vent ou à peu près, de manière à le faire culer ; la différence de
vitesse ne pouvait compenser ce désavantage.