barque dans les sentiers de la vie que sur le vaste sein de l’Océan. Il était heureux, dans sa situation particulière, que la nature eût donné à un homme si volontaire, et qui jouissait d’une telle autorité, un caractère froid et caustique plutôt que violent et emporté ; et M. Dodge notamment eut de fréquentes occasions de s’en féliciter.
CHAPITRE VIII.
ayant pas réussi dans ses efforts pour éveiller dans l’esprit du
capitaine la crainte d’un mécontentement général, M. Dodge alla
reprendre le cours de ses manœuvres sur le pont ; car, en véritable
homme libre de l’école exclusive, il ne travaillait à découvert que
lorsqu’il était soutenu par une majorité bien prononcée. Il sondait
tous ceux qui l’entouraient, et cherchait à créer une opinion publique,
comme il l’appelait, qui fût favorable à la sienne, en persuadant
tour à tour à ses auditeurs que chacun d’eux était précisément du
même avis que lui : manœuvre à laquelle ont souvent recours les
meneurs politiques. Pendant ce temps, le capitaine Truck travaillait
lui-même dans sa chambre à faire son point, s’occupant fort peu
et s’inquiétant encore moins d’autre chose que du résultat de ses
calculs, qui le convainquirent bientôt qu’en continuant encore quelques
heures la route qu’il suivait, il ferait échouer son bâtiment sur
la côte, quelque part entre Falmouth et le cap Lizard.
Cette découverte contraria d’autant plus le capitaine, qu’il n’avait pas oublié ce que venait de lui dire M. Dodge ; car rien ne pouvait lui être plus désagréable que d’avoir l’air de changer de détermination par suite d’une menace. Il fallait pourtant qu’il prît un parti avant minuit, car il voyait clairement que trente à quarante milles tout au plus étaient tout ce qu’il restait à faire au Montauk en suivant la même direction. Les passagers avaient quitté le pont pour éviter l’air de la nuit ; il avait entendu M. Effingham inviter M. Sharp et M. Blunt à entrer dans la chambre qui servait de salon aux dames, tandis que les autres, entrant dans la salle à manger, criaient aux maîtres d’hôtel de leur apporter de l’eau chaude, du sucre et des liqueurs spiritueuses. Le bruit qu’ils faisaient en parlant le troubla dans ses réflexions ; il se trouva à l’étroit dans sa petite chambre, et il monta sur le pont pour y prendre sa détermination, entre le ciel