Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/112

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population n’en a pas considérablement augmenté, et pourtant une bonne moitié des noms y sont nouveaux. Votre père, en arrivant chez lui, ne reconnaîtra pas les noms de la moitié de ses voisins. Non seulement il verra de nouvelles figures, mais il trouvera de nouveaux sentiments, de nouvelles opinions, et une indifférence pour tout ce qui n’est pas le moment présent. Même ceux qui ont des idées plus justes et plus saines, et qui désirent les conserver, n’osent les exprimer, de crainte de heurter celles des autres.

— Ce ne sont pas des chats, comme dirait M. Bragg.

— John ne peint jamais en beau, dit M. Effingham. Je serais très-fâché de croire qu’une dizaine d’années puissent avoir produit tous ces changements dans mon voisinage.

— Une dizaine d’années, Édouard ! c’est parler d’un siècle. Il faut parler de trois ou quatre ans quand on désire retrouver quelque chose en Amérique comme on l’a laissé. Tout le pays est dans un état si constant de mutation, que je ne puis le comparer qu’à ce jeu d’enfants dans lequel, quand l’un quitte son coin, l’autre court s’y mettre, et celui qui n’en peut trouver devient la risée de tous les autres. Supposez que cette maison ait été la résidence d’un homme depuis son enfance jusqu’à sa vieillesse qu’il la quitte alors pour une couple d’années : à son retour, il la trouvera en possession d’un autre qui le traitera comme un impertinent et un intrus parce qu’il a été absent deux ans, et que cet autre est en possession depuis une éternité, qui n’a eu pourtant que la même durée. En fait d’usages, un Américain ne remonte jamais plus loin que dix-huit mois. En un mot, tout est condensé dans le présent. Les services rendus, la réputation acquise en bien comme en mal, et toutes les autres qualités, n’ont de poids qu’en proportion de leur influence sur l’intérêt du jour.

— C’est peindre les choses avec le coloris de la causticité, dit M. Effingham.

— Mais la loi, monsieur John Effingham, s’écria vivement sir George Templemore, la loi ne permettrait sûrement pas qu’un étranger usurpât ainsi les droits d’un propriétaire.

— Le texte de la loi serait sans doute pour lui ; mais qu’est-ce qu’un précepte en face de la pratique ? « Les absents ont toujours tort » est une maxime qui s’applique particulièrement à l’Amérique.

— Les propriétés, sir George, sont aussi sûres en ce pays qu’en aucun autre, et il ne faut pas trop vous en rapporter à ce qu’en dit une humeur caustique.