Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/151

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-travail de ses mains. Dans leurs rapports entre eux, tous se rencontrent en quelque sorte sur un terrain neutre, l’un cédant quelque chose de sa supériorité, l’autre réclamant une apparence extérieure d’égalité, quoiqu’il sente fort bien que cette égalité est le résultat des circonstances dans lesquelles il est placé. En un mot, cet état de société est favorable aux prétentions de la force purement animale, et désavantageux à celles des facultés intellectuelles.

Cette période de temps peut s’appeler peut-être la plus heureuse du premier siècle d’une colonie. Les premiers besoins, de la vie sont si sérieux et occupent tellement, qu’on oublie les petites contrariétés ; et les choses qui causeraient un dépit sérieux dans un état de société plus régulière, sont prises comme devant naturellement avoir lieu, et l’on en rit comme d’incidents du jour auxquels on devait s’attendre. On ne voit partout que bienveillance ; le voisin va gaiement à l’aide de son voisin ; la vie est pleine d’une gaieté insouciante ; on s’associe sans distinction avec tous ses compagnons, et chacun montre l’enjouement heureux de l’enfance. On remarque que ceux qui ont passé par cet état d’épreuve ne se le rappellent ordinairement qu’avec regret, et aiment à raconter les scènes et les événements quelquefois ridicules qui distinguent l’histoire d’un nouvel établissement, de même que le chasseur soupire après la forêt.

À ce temps de gaieté, de travail, d’aventures et d’affection mutuelle, en succède un autre pendant lequel la société commence à s’organiser et les passions ordinaires à reprendre leur empire. C’est alors qu’on voit la lutte pour les places, la jalousie entre les familles qui se les disputent et l’influence de l’argent. Les circonstances ont peut-être établi la supériorité reconnue de quelques familles, et leur société est le but auquel les autres aspirent. Les professions savantes, en y comprenant le clergé, ou ce que l’on appelle ainsi par courtoisie, – prennent la préséance, comme leur étant due, mais seulement après la richesse, quand elle est soutenue par quelques dehors. Alors commencent dans la société ces degrés qui mettent en défaut les institutions, et qui suivent aussi naturellement la civilisation, que les goûts et les habitudes sont le résultat du plaisir qu’on a trouvé à s’y livrer.

C’est peut-être l’état le moins attrayant de société dans tout pays qui peut se dire libre et éloigné de la barbarie. Les goûts ont trop peu cultivés pour exercer une influence essentielle, et