Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/186

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mais avec de l’expérience on juge mieux des choses. La gloire doit se mesurer par la qualité et non par la quantité, et je regarde comme une plus belle plume au chapeau d’un homme d’avoir vu une demi-minute la tête du sogdollader hors de l’eau, que de ramener sa barque pleine de brochetons. La dernière fois que je vis le patriarche, je n’essayai pas de le tirer sur ma barque, mais nous passâmes près de deux minutes à converser ensemble, lui dans l’eau, moi sur mon esquif.

— Converser ! s’écria Ève ; converser avec un poisson ! Que pouvait-il avoir à dire ?

— Un poisson peut parler aussi bien qu’un de nous, jeune dame ; la seule difficulté est de comprendre ce qu’il dit. J’ai entendu de vieux colons dire que Bas-de-Cuir avait coutume de s’entretenir des heures entières avec les animaux de la forêt, et même avec les arbres.

— Avez-vous connu Bas-de-Cuir, commodore ?

— Non, jeune dame ; je suis fâché de dire que je n’ai jamais eu le plaisir de le voir. C’était un grand homme ! On peut parler des Jefferson et des Jackson ; mais moi je regarde Washington et Natty Bumppo comme les deux seuls grands hommes de mon temps.

— Et que pensez-vous donc de Bonaparte, commodore ? demanda Paul.

— Je crois réellement, Monsieur, que Bonaparte n’était pas un homme à mépriser ; mais qu’aurait-il été dans les bois auprès de Bas-de-Cuir ? Ce n’est pas grand’chose, Messieurs, d’être un grand homme parmi vos habitants des villes, que j’appelle gens à parapluie. Natty était presque aussi grand à la pêche qu’à la chasse, quoique je n’aie jamais ouï dire qu’il ait vu le sogdollader.

— Nous nous reverrons encore cet été, commodore, dit John Effingham. En ce moment nos dames désirent entendre les échos, et il faut que nous vous quittions.

— Cela est tout naturel, monsieur John, répondit le commodore en riant et en agitant la main d’une manière qui lui était particulière. — Toutes les femmes aiment à entendre ces échos ; car elles ne sont jamais satisfaites d’avoir dit une chose une fois, et il faut qu’elles la répètent. Quand une dame vient sur le lac d’Otségo, une des premières choses qu’elle fait toujours, c’est de demander qu’on la conduise aux Rochers Parlants, afin de s’en-