Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/285

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— Sans m’arrêter à examiner les causes, ma chère Ève, je crois que vous ferez mieux de rester toutes à la maison.

— Voilà ce qu’est une fête américaine, mademoiselle Viefville.

Un haussement d’épaules fut toute la réponse de la gouvernante.

— Vous ne serez pas entièrement exclue de la fête, ma fille, dit M. Effingham, toute galanterie n’a pas encore déserté le pays.

— Une jeune personne peut se promener seule avec un jeune homme, dit mademoiselle Viefville moitié en français, moitié en anglais ; elle peut aller à cheval ou en voiture seule avec lui ; et ne pas faire sans lui un seul pas dans le monde ; mais elle ne peut se trouver dans la foule avec son père pour voir une fête ! Je désespère vraiment de jamais rien comprendre aux habitudes américaines.

— Eh bien ! mademoiselle, pour que vous ne nous croyiez pas tout à fait barbares, vous aurez du moins le plaisir d’entendre le discours.

— Vous faites bien, Édouard, dit John, de dire le discours et non un discours ; car je crois que c’est un squelette qui a servi chaque année à quelques milliers d’orateurs depuis soixante ans.

— Eh bien ! ces dames jugeront du squelette. Voici le moment où le discours doit être prononcé ; et en partant de suite, nous pourrons avoir de bonnes places.

Mademoiselle Viefville fut enchantée ; car, après avoir vu les églises, les théâtres, l’Opéra et les bals de New-York, elle en était venue à la conclusion que l’Amérique était un excellent pays pour s’ennuyer ; et ce qu’on proposait en ce moment promettait du moins quelque nouveauté. Ève, sa cousine et la gouvernante furent prêtes à partir en un instant, et escortées par tous les hommes de la compagnie, elles arrivèrent au local indiqué au moment où l’orateur montait en chaire ; car une des églises du village avait été choisie pour cette cérémonie.

Cet orateur était, suivant l’usage, un jeune homme récemment appelé au barreau ; car c’était une règle qu’un novice dans la profession des lois dérouillât son esprit dans un discours du 4 juillet, comme c’en était une autrefois qu’un mousquetaire prouvât son courage par un duel. Cette académie, qui avait autrefois servi en même temps à tant d’usages différents, où l’on avait donné successivement des leçons d’éducation et des bals, où l’on avait prêché et tenu les assemblées publiques, avait eu le même sort que la plupart des bâtiments en bois d’Amérique, — elle avait vécu son temps et avait été brûlée. Les habitants, que nous avons