Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/31

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vous ne me rendez pas justice si vous supposez que je n’aie voulu que me dérober à la fumée de la salle à manger.

— Non, non ; nous comprenons parfaitement que vous aviez aussi en vue la fumée de la flatterie, et nous supposerons que vous avez dit tout ce que l’occasion exige. — Notre vieux et honnête capitaine n’est-il pas dans son genre un vrai bijou ?

— En vérité, puisque vous me permettez de parler des hôtes de votre père, je crois impossible qu’on réunisse deux hommes qui soient si complètement le contraire l’un de l’autre que le capitaine Truck et ce M. Aristobule Bragg. Ce dernier est la personne la plus extraordinaire que j’aie jamais eu la bonne fortune de rencontrer.

— Vous l’appelez une personne, Pierre l’appelle un personnage. Je crois qu’il regarde comme une affaire de hasard s’il passe sa vie dans une condition ou dans une autre. Mon cousin John m’assure que, tandis que cet homme est prêt à accepter tel emploi qu’on veuille lui confier, il ne croirait pas manquer aux convenances en aspirant au trône dans la White-House.

— Certainement, sans espoir d’y arriver.

— C’est ce dont je ne puis répondre. Il faut qu’il subisse bien des changements importants et qu’il s’opère en lui une révolution complète avant que la fortune puisse le porter si haut ; mais du moment que vous supprimez les droits du pouvoir héréditaire, la porte s’ouvre au chapitre des accidents. Alexandre, empereur de Russie, s’appelait un heureux accident, et si jamais la fortune nous donne M. Bragg pour président, nous n’aurons qu’à l’appeler un malheureux accident. Ce sera toute la différence.

— Votre républicanisme est inexpugnable, miss Effingham, et je renoncerai à toute tentative pour vous convertir à de meilleurs principes, d’autant plus que je vous trouve soutenue par votre père et votre cousin, qui, tout en blâmant tant de choses, semblent au fond singulièrement tenir au système qui s’y rattache.

— Ils blâment certaines choses, sir George, parce que, quoiqu’ils sachent qu’on ne peut atteindre la perfection, ils sentent qu’il n’est ni sage ni sûr de louer des défauts ; et ils sont attachés au système adopté dans ce pays, parce qu’en ayant vu d’autres de très-près ils se sont convaincus que, comparativement du moins, et quelque défectueux qu’il soit, il vaut mieux que celui suivi dans beaucoup d’autres.