Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/327

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sont isolées, et qu’elles n’ont qu’une manière de penser factice. Quand donc Ève fit à Nanny les questions qui viennent d’être rapportées, c’était plutôt par un véritable désir de savoir ce qu’elle pensait du choix que son cœur avait fait, que pour se livrer à un esprit de plaisanterie frivole sur un sujet qui touchait si intimement à ses plus tendres affections.

— Mais vous ne m’avez pas dit, ma chère Nanny, reprit Ève quelle réponse vous voudriez que je fisse. Par exemple, dois-je jamais consentir à quitter mon père ?

— Et quelle nécessité y aurait-il de le quitter, miss Ève ? M. Powis n’a pas de maison à lui, et quant à cela, à peine a-t-il même un pays.

— Comment pouvez-vous le savoir, Nanny ? demanda Ève, un peu piquée de l’entendre parler ainsi de son amant.

— C’est son domestique qui le dit, et si son maître avait une maison, il a demeuré assez longtemps avec lui pour le savoir. Je m’endors rarement sans avoir réfléchi sur tous les événements de la journée, et mes pensées se sont tournées bien des fois sur sir George Templemore et M. Powis ; et quand je songeais que le premier avait une maison et un pays, et que le second n’avait ni l’un ni l’autre, il me semblait toujours que le premier devait être préféré.

— Et ainsi dans toute cette affaire vous ne songez qu’aux convenances, et à ce qui pourrait être agréable aux autres plutôt qu’à moi.

— Miss Ève…

— Pardon, ma chère Nanny, je sais qu’en toute chose vous ne pensez à vous qu’en dernier. Je conviens que la circonstance qu’un homme n’a pas de maison, n’est pas une raison pour lui donner la préférence ; ce serait même une objection pour bien des femmes.

— Je ne prétends pas me connaître beaucoup en pareille matière ; mais on m’a fait aussi la cour, et je crois qu’une fois j’aurais été tentée de me marier, sans une circonstance particulière.

— Vous vous, Nanny, vous marier ! s’écria Ève, à qui cette idée parut aussi étrange que celle que son père pourrait oublier sa mère et prendre une nouvelle femme. C’est une chose toute nouvelle pour moi, et je voudrais bien savoir quelle heureuse circonstance a empêché ce qui aurait pu être pour moi une grande calamité.