Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/411

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jour qui vient de naître. Ève avait pourtant fait un peu plus d’attention à sa toilette que de coutume, et elle s’était ornée de quelques bijoux, genre de parure qui annonce le bon goût quand on l’emploie judicieusement, et qui, en toute autre circonstance, dénote aussi infailliblement un esprit vulgaire. Son costume du matin était donc plus soigné qu’à l’ordinaire, quoiqu’il ne fallût qu’un coup d’œil pour remarquer qu’elle était en négligé. Le talent parisien d’Annette, sur lequel M. Bragg fondait une si grande partie de ses espérances de fortune future, avait taillé sa robe avec un tact si parfait qu’elle faisait deviner plus de charmes qu’elle n’en montrait. Mais, malgré la perfection exquise de toutes ses formes, la légèreté presque surnaturelle d’un petit pied, qui n’offrait pourtant aux yeux rien de maigre ni de décharné, et la main parfaite qui se montrait au milieu des dentelles qui garnissaient les manches de sa robe, Paul était complètement absorbé dans l’admiration de la physionomie de sa fraîche et charmante épouse. Peut-être le cœur d’un homme ne peut-il connaître un sentiment plus touchant et plus cher que celui que lui inspire la contemplation de la beauté, de la confiance, de la pureté et de la franchise qui brillent sur la physionomie d’une jeune femme, pleine de simplicité et d’innocence, quand elle a surmonté sa timidité naturelle au point de lui avouer sa tendresse pour lui, et de s’abandonner aux impulsions les plus fortes de la nature. Tel était le tableau qu’Ève présentait en ce moment aux yeux de Paul. Elle parlait de son mari dans la lettre qu’elle écrivait, et quoique ses expressions fussent retenues par la modestie, le goût et l’éducation, elles étaient empreintes d’une tendresse et d’un dévouement qui n’avaient pas besoin d’être exprimés. Quelques larmes tombaient de ses yeux, la plume tremblait dans sa main, et elle s’ombrageait le visage de l’autre, comme pour se cacher sa faiblesse à elle-même. Paul fut alarmé, il ne savait pourquoi ; mais Ève en pleurs était un spectacle pénible pour lui. En un moment, il fut à son côté, et lui passant doucement un bras autour de la taille, il la pressa tendrement sur son cœur.

— Ève, ma chère Ève, lui dit-il, que signifient ces pleurs ?

L’œil serein, la rougeur brillante, et le regard de tendresse qui récompensèrent cet élan de sensibilité rassurèrent le mari, et cédant à la pudeur timide d’une si jeune épouse, il retira son bras, et se borna à garder une main dans les siennes.

— C’est le bonheur, Paul. — L’excès du bonheur nous rend,