Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/42

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ville ; les autres prirent place dans la voiture de M. Effingham. Les cochers reçurent ordre de les conduire dans Spring-Street, et l’on partit.

Mistress Jarvis et la famille Effingham avaient fait connaissance parce qu’ils étaient voisins de campagne ; mais la société qu’ils voyaient à New-York était aussi distincte que s’ils eussent habité deux hémisphères différents, et leurs relations s’y bornaient à quelques visites du matin, et, de temps en temps, à un dîner en famille, chez M. Effingham. Telle était la nature de leurs liaisons avant le voyage que M. Effingham avait fait en Europe avec sa fille, et il paraissait qu’elles allaient continuer sur le même pied qu’autrefois. Sous bien des rapports, on n’aurait pu trouver deux êtres plus différents que M. et mistress Jarvis. Le mari était un homme simple, sensé, laborieux, tout occupé de ses affaires ; la femme était tourmentée du désir de figurer dans le grand monde. Le premier sentait parfaitement que M. Effingham, par son éducation, ses manières et sa position dans le monde, était d’une classe entièrement distincte de la sienne, et sans chercher à en analyser la cause, sans le moindre sentiment d’envie ou de mécontentement, comme sans lui faire bassement la cour, il se soumettait à cet ordre de choses. Mistress Jarvis, au contraire, exprimait souvent sa surprise qu’il existât à New-York quelqu’un qui eût la présomption de se croire au-dessus d’eux, et une remarque de ce genre donna lieu à la conversation qui suit, dans la matinée du jour où elle avait l’assemblée à laquelle nous conduisons le lecteur.

— Comment savez-vous, ma chère, qu’il existe quelqu’un qui se croie au-dessus de nous ? lui demanda son mari.

— Pourquoi se trouve-t-il des gens qui ne nous rendent pas de visites ?

— Pourquoi n’en faites-vous pas vous-même à tout le monde ? Notre maison serait trop petite, si nous voulions seulement y recevoir tous ceux qui demeurent dans cette rue.

— Vous ne voudriez sûrement pas que j’allasse voir les femmes des épiciers et des autres marchands du voisinage. Ce que je veux dire, c’est que tous les gens d’une certaine sorte doivent voir tous les gens de la même sorte dans la même ville.

— Vous feriez, sans doute, des exceptions, ne fût-ce qu’à cause, du nombre. J’ai vu, ce matin même, sur une charrette, le no 3650 ; et si toutes les femmes de ces charretiers allaient se voir, chacune