Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/56

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— Vous convenez donc qu’il y a une fin ?

— Il y a une fin à tout, au bien et au mal, au bonheur et au malheur, à l’espérance et à la crainte, à la foi et à la charité, et même à l’esprit d’une femme, que j’ai quelquefois regardé comme une chose presque sans fin. Il peut donc y en avoir une même aux institutions de l’Amérique.

Sir George l’écoutait avec cet intérêt qu’un Anglais de sa classe prend toujours à obtenir une concession qui lui semble devoir favoriser ses prédilections politiques, et il se sentit encouragé à pousser plus loin ce sujet.

— Et vous croyez que la machine roule vers la fin ? demanda-t-il, attendant la réponse à cette question avec un intérêt dont il aurait ri lui-même dans la tranquillité paisible de sa maison. Mais la résistance ranime une discussion, et l’on a même vu l’esprit de contrariété faire naître l’amour.

Mistress Bloomfield était pleine d’intelligence et avait l’esprit cultivé, vif et malin. Elle devina sur-le-champ quel était le motif de sir George, et quoiqu’elle vît et sentît tous les abus qui existaient, elle était fortement attachée au principe dominant de l’organisation sociale de son pays, ce qui arrive presque toujours aux esprits les plus éclairés et aux cœurs les plus généreux. Elle ne voulut donc pas qu’un étranger emportât une fausse impression de ses sentiments sur un tel point.

— Avez-vous jamais étudié la logique, sir George ? lui demanda-t-elle malignement.

— Un peu ; mais, à ce que je crains, pas assez pour influer sur ma manière de raisonner, ni même pour me familiariser avec les termes de cette science.

— Oh ! je ne vais pas vous assaillir de sequitur et non sequitur, de dialectique et de tous les mystères du Denk-Lehre[1], mais seulement vous rappeler qu’il y a aussi la fin d’un sujet. Quand je vous dis que nous marchons vers la fin de nos institutions, je veux dire que nous commençons à les comprendre, ce que nous ne faisions pas, je crois, lorsque nous en avons fait l’épreuve.

— Mais je crois que vous conviendrez qu’à mesure que la civilisation avance, quelque changement matériel doit avoir lieu. Le peuple américain ne peut toujours rester stationnaire ; il faut qu’il marche en avant ou en arrière.

  1. L’Art de penser.