Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/78

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mais elle avait fait de grands efforts pour que cette soirée fût mémorable dans les annales des conversazioni.

Pour exécuter ce projet, presque tous les artistes, les beaux esprits, les écrivains et les litterati, comme on appelait à New-York les membres les plus incorrigibles des clubs littéraires, furent invités de la manière la plus pressante à se trouver à cette assemblée. Aristobule avait fait au baronnet une telle réputation le soir du bal, qu’on lui donnait partout le titre d’homme de lettres ; et un article d’un des journaux avait parlé de « l’honorable et révérend M. Truck comme d’un voyageur dont la libéralité et l’esprit judicieux devaient enfin, en parlant de la société américaine, rendre justice au caractère national. » Dans une pareille attente, on espérait que chaque véritable Américain ou Américaine serait à son poste en cette occasion solennelle. C’était un ralliement de la littérature pour défendre les institutions nationales, — non, pas les institutions, on leur laissait le soin de se défendre elles-mêmes, — mais la vanité de la communauté.

Hélas ! il est plus facile d’aspirer à de si grandes choses que d’y réussir dans une ville de province ; car appeler une place une grande ville de commerce, c’est loin de lui donner l’indépendance, le bon ton, le goût et l’esprit d’une capitale. La pauvre mistress Légende, désirant avoir à son assemblée des représentants de toutes les langues, fut obligée d’y inviter un trafiquant eu genièvre de Hollande, un marchand de toile de Saxe, un Italien, qui s’amusait à vendre des chapelets, et un maître d’espagnol, qui était né en Portugal, tous doués du talent de pouvoir parler chacun leur langue, et n’en ayant aucun autre. Mais il y a de pareilles réunions à Paris, et pourquoi non à New-York ?

Nous ne peindrons pas le battement de cœur que sentit mistress Légende quand elle entendit sonner pour la première fois à sa porte dans la soirée en question. C’était l’annonce de l’arrivée de miss Annuel, vieille fille aussi dévouée à la littérature que quiconque a jamais appris l’alphabet. Elle reçut un accueil affectueux et même sentimental ; mais avant qu’elles eussent eu le temps de décharger leur mémoire de la moitié des phrases qu’elles avaient préparées, la sonnette se fit encore entendre plusieurs fois, et il y eut bientôt dans l’appartement autant de talents qu’on trouve de jeux de mots dans un roman moderne.

Toute la bande étrangère fut du nombre de ceux qui arrivèrent les premiers, et les rafraîchissements qui arrivèrent en même