Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/105

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— J’ai beaucoup de confiance en tous deux, — dit Mabel, et je n’ai nul doute que chacun de vous ne fasse tout ce qui sera en son pouvoir pour prouver à mon père son affection pour lui. Mais j’avoue que je n’aimerais pas à quitter la pirogue quand nous savons qu’il y a dans la forêt des ennemis comme ceux que nous avons vus. Au surplus, c’est mon oncle qui en décidera.

— Je ne me soucie point des bois, — dit Cap, — quand j’ai devant moi un bon courant comme celui-ci ; d’ailleurs, maître Pathfinder, pour ne rien dire des sauvages, vous oubliez les requins.

— Les requins ! Qui a jamais entendu parler de requins dans une forêt ?

— Par requins j’entends des loups, des ours. — Qu’importe le nom que vous donniez à un animal, s’il a le pouvoir et la volonté de mordre ?

— Seigneur, Seigneur ! craignez-vous aucune des créatures qui se trouvent dans les bois de l’Amérique ? Le léopard est un animal qui mérite attention, j’en conviens ; mais ce n’est rien entre les mains d’un chasseur expérimenté. Parlez des Mingos et de leurs diableries, à la bonne heure, mais ne nous donnez pas une fausse alarme ; avec vos ours et vos loups.

— Oui, oui, maître Pathfinder, tout cela est fort bon pour vous qui connaissez probablement le nom de toutes les créatures que vous pourriez rencontrer. L’habitude fait tout, et elle donne de la hardiesses un homme qui, sans cela, pourrait avoir peur. J’ai vu des marins, dans les basses latitudes, nager pendant des heures entières au milieu de requins de quinze à vingt pieds de longueur, sans s’en mettre plus en peine qu’un paysan ne songe aux autres villageois qui sortent avec lui de l’église le dimanche.

— Cela est fort extraordinaire ! — s’écria Jasper, qui, dans le fait, n’avait pas encore acquis cette qualité essentielle dans sa profession, la faculté d’inventer un conte. — J’avais toujours entendu dire que c’était courir à une mort certaine que de se hasarder dans l’eau près d’un requin.

— J’oubliais de dire qu’ils avaient toujours soin de se munir d’une barre du cabestan ou d’un anspect, pour rabattre le nez des requins, s’ils devenaient importuns. Non, non, je n’ai aucun goût pour les loups et les ours, quoique à mes yeux une baleine soit à peu près le même genre de poisson qu’un hareng séché et salé. Mabel et moi, nous nous en tiendrons aux pirogues.

— Mabel ferait bien d’en changer, — dit Jasper. La mienne est