Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/128

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sur les caprices du goût et sur la bizarrerie des désirs humains, que le fait que la nourriture qui, en d’autres pays, aurait été un sujet d’envie, devenait un objet de répugnance et de dégoût. Les vivres réguliers de l’armée, qu’il était nécessaire de ménager, attendu la difficulté de les faire venir de si loin, gagnaient dans l’estime du soldat, et il était toujours prêt à renoncer à sa venaison, à ses canards, à ses pigeons et à son saumon, pour se régaler de lard, de navets cordés et de choux à demi-crus.

La table du sergent Dunham se ressentait naturellement de l’abondance et du luxe de la frontière, comme de ses privations. Un saumon grillé fumait sur un plat de bois ; des tranches de venaison exhalaient un fumet appétissant, et plusieurs mets froids, tous composés de venaison, avaient été placés sur la table en l’honneur des nouveaux venus et pour prouver l’hospitalité du vieux soldat.

— Vous ne paraissez pas être à demi-ration dans cette partie du globe, sergent, — dit Cap, après s’être initié dans les mystères des différents mets. — Votre saumon aurait suffi pour satisfaire un Écossais.

— Il ne suffit pourtant pas, frère Cap ; car sur deux à trois cents hommes qui composent cette garnison, il n’y en a pas une demi-douzaine qui ne jureraient pas que ce poisson n’est pas digne d’être mangé. Il y en a même qui n’ont jamais goûté de venaison chez eux, à moins qu’ils n’aient braconné, et qui font fi de la cuisse de daim la plus grasse qu’on puisse avoir ici.

— C’est la nature des chrétiens, — dit Pathfinder, — et j’ose dire qu’elle ne leur fait pas honneur. Une peau-rouge ne montre jamais aucun dégoût, et il est toujours content de la viande qu’on lui donne, qu’elle soit grasse ou maigre, ours ou daim, cuisse de dindon ou aile d’oie sauvage. Il faut le dire à la honte de nous autres hommes blancs, nous regardons les bienfaits de la Providence sans reconnaissance, et nous considérons des bagatelles comme des choses importantes.

— Il en est ainsi du 55e, j’en réponds, — dit le sergent, quoique je ne puisse en répondre de même quant au christianisme. Le major Duncan de Lundie jure lui-même quelquefois qu’un gâteau de farine d’orge vaut mieux qu’une perche de l’Oswego, et soupire après un verre d’eau de ses montagnes d’Écosse quand il a à sa disposition toute celle de l’Ontario pour étancher sa soif.