Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/244

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— Par Jupiter ! c’est le fort d’Owego ! — s’écria le vieux soldat, dont l’œil exercé reconnut les contours des lignes militaires qui échappaient aux yeux moins expérimentés en ce genre de son compagnon.

Le sergent ne se trompait pas. C’était bien le fort, quoiqu’on ne pût l’entrevoir qu’indistinctement à travers la bruine qui tombait, comme si c’eût été le crépuscule du soir ou les vapeurs du matin. Les remparts en terre, bas et couverts de verdure, les sombres palissades que la pluie faisait paraître plus sombres que jamais, les toits de deux ou trois maisons, le grand pavillon solitaire avec ses drisses auxquelles le vent faisait décrire une ligne courbe qui paraissait immuable, se firent bientôt distinguer, quoiqu’on ne vît aucun signe de vie animée. La sentinelle même était dans sa guérite, et l’on crut d’abord que personne ne s’apercevrait que le Scud était en vue. Mais la vigilance d’une garnison de frontière ne s’était pas endormie. Quelqu’un avait probablement fait cette découverte intéressante. On vit bientôt quelques hommes paraître sur les points les plus élevés, et, au bout de quelques instants, tous les remparts donnant sur le lac furent couverts d’êtres humains.

C’était une scène dont le caractère sublime était singulièrement relevé par le pittoresque. La fureur de la tempête avait un air de durée qui rendait facile de croire qu’elle en formerait un trait permanent. Le vent sifflait sans intermission, et l’eau y répondait par le bruit menaçant de ses lames ; la bruine qui tombait, offrait à l’œil un milieu qui ressemblait beaucoup à un léger brouillard, adoucissant et rendant mystérieux les objets qu’il laisse apercevoir ; tandis que le sentiment d’ardeur que fait naître souvent un coup de vent sur l’eau, contribuait à ajouter aux influences plus douces du moment. La forêt, noire et interminable, sortait du sein de l’obscurité, tandis que les échantillons particuliers et pittoresques de la vie humaine qu’on entrevoyait dans le fond, offraient à l’œil un refuge quand il se fatiguait de la vue des objets plus imposants de la nature.

— Ils nous voient, — dit le sergent, — Et ils s’imaginent que nous sommes revenus à cause de la tempête et que nous sommes tombés sous le vent du port. — Oui, voilà le major Duncan lui-même sur le bastion du nord-est ; je le reconnais à sa taille, et aux officiers qui l’entourent.

— Nous pourrions bien nous décider à supporter quelques