Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/248

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sommes pas des johnnys (crapauds[1]), pour aller nous cacher derrière une pointe ou un fort à cause d’une bouffée de vent. — Attention à la barre, timonier !

Cet ordre fut donné à cause d’un danger qui paraissait imminent. Le Scud avançait en droite ligne vers l’avant du bâtiment français, et la distance qui l’en séparait n’était plus que d’environ cinquante toises ; il y avait lieu de douter qu’il pût passer.

— Bâbord la barre, timonier ! — s’écria Cap ; — bâbord tout, passez à l’arrière du bâtiment !

On voyait l’équipage du Montcalm s’assembler sur le pont du côté au vent, et quelques mousquets furent pointés, comme pour ordonner à celui du Scud de s’écarter de la route que ce bâtiment suivait. Mais tout se borna à des gestes menaçants, car les lames étaient trop fortes pour qu’on pût recourir aux ressources ordinaires de la guerre. L’eau sortait de la bouche de deux ou trois petites pièces de canon qui étaient à bord du Montcalm, et personne ne songeait à les démarrer pour s’en servir par une pareille tempête. Les flancs noirs du bâtiment français brillaient en sortant d’une vague, et semblaient sourciller. Tout son équipage poussait de grands cris, mais le vent qui sifflait à travers les agrès ne permettait pas de les entendre.

— Qu’ils crient à s’égosiller ! — grommela Cap, — il ne fait pas un temps à se dire des secrets à l’oreille. Bâbord la barre, timonier, bâbord !

L’homme qui tenait la barre obéit, et la lame suivante poussa le Scud si près de la hanche du Montcalm, que Cap lui-même recula d’un pas, craignant que le cutter, au premier élan de l’avant, n’enfonçât son beaupré dans les bordages de l’autre bâtiment. Mais cet accident n’arriva point : se relevant comme une panthère qui va faire un bond, le Scud s’élança de l’avant, et l’instant d’après il avait déjà dépassé la poupe du bâtiment ennemi, les vergues des deux navires ayant failli se toucher.

Le jeune officier qui commandait le Montcalm sauta sur le couronnement, et, avec cette noble politesse qui fait pardonner bien des choses à ses concitoyens, ôta son chapeau et salua en souriant, tandis que le Scud passait à son arrière. Il y avait du savoir vivre et de la bonhomie dans cet acte de courtoisie, dans un moment où toute autre communication était impossible ; mais il

  1. Sobriquet élégant donné par les marins anglais aux français.