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LE LAC ONTARIO.

jours en homme blanc et jamais en Indien. Le Grand-Serpent que voilà a ses manières, et moi j’ai les miennes ; et pourtant nous avons combattu côte à côte bien des fois sans que jamais l’un de nous trouvât à redire aux manières de l’autre. Je lui dis qu’il n’y a qu’un ciel et un enfer, malgré toutes ses traditions, quoiquebdifférents chemins conduisent à l’un et à l’autre.

— Cela est raisonnable et il doit vous croire, quoique je pense que la plupart des chemins qui conduisent à l’enfer sont sur la terre. La mer est ce que ma pauvre sœur Bridget avait coutume d’appeler une place de purification, et l’on est à l’abri des tentations dès qu’on est hors de vue de terre. Je doute qu’on puisse en dire autant en faveur de vos lacs dans ce pays.

— Que les villes et les établissements conduisent au péché, j’en conviens ; que les hommes ne soient pas toujours les mêmes, même dans le désert, je dois l’avouer aussi ; car la différence entre un Mingo et un Delaware se reconnaît aussi clairement que celle qui existe entre le soleil et la lune. Quoi qu’il en soit, ami Cap, je suis charmé que nous nous soyons rencontrés, quand ce ne serait que pour que vous puissiez dire au Grand-Serpent qu’il y a des lacs dont l’eau est salée. Nous avons été assez souvent du même avis depuis que nous avons fait connaissance, et si le Mohican[1] a seulement en moi moitié de la confiance que j’ai en lui, il croit tout ce que je lui ai dit sur les manières des hommes blancs et sur les lois de la nature ; mais il m’a toujours paru qu’aucune peau-rouge ne croit aussi sincèrement que le voudrait un honnête homme ce qu’on lui dit des grands lacs d’eau salée et des rivières qui coulent contre le courant.

— Cela vient de ce qu’on prend les choses par le mauvais bout, — répondit Cap avec un signe de condescendance. — Vous avez pensé à vos lacs et à vos rapides comme à un navire, et à l’Océan et aux marées comme à un canot. Ni Arrowhead ni le Grand-Serpent ne doivent douter de ce que vous leur avez dit sur ces deux points, quoique j’avoue que moi-même j’ai quelque peine à avaler l’histoire qu’il existe des mers intérieures, et surtout qu’il y ait des mers d’eau douce. J’ai fait ce long voyage autant pour mettre mes yeux et mon palais en état de prononcer sur ces faits que pour obliger le sergent et Magnet, quoique le

  1. L’auteur appelle ce personnage tantôt Mohican et tantôt Delaware, parce que la première de ces deux tribus était une branche de la seconde. (Note du traducteur.)