Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/340

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qui, quoique courageuse comme une vraie Écossaise, était assez disposée à prêter l’oreille à tout ce qui confirmait sa terreur des cruautés des Indiens. Aussitôt que Mabel vit que sa compagne était assez alarmée pour être prudente, elle lui insinua qu’il était inutile de faire connaître aux soldats l’étendue de leurs propres craintes. Elle se proposait d’éviter ainsi les discussions et les questions qui auraient pu l’embarrasser, et elle espérait pouvoir inspirer plus de circonspection à son oncle, au caporal et à ses soldats en s’y prenant d’une autre façon. Par malheur, l’armée de la Grande-Bretagne n’aurait pu fournir un personnage plus mal choisi, pour occuper le poste qu’il était alors chargé d’occuper, que le caporal Mac-Nab, auquel le commandement avait été laissé pendant l’absence du sergent Dunham. D’une part, il était courageux, actif, versé dans tous les détails d’une vie de soldat et endurci aux fatigues de la guerre ; de l’autre, il était arrogant dans ses rapports avec les habitants du pays, d’une excessive opiniâtreté sur tout ce qui rentrait dans les étroites limites de sa profession, très-disposé à considérer l’empire britannique comme le centre de toute excellence humaine, et l’Écosse comme le foyer, au moins, de l’excellence morale dans cet empire. En un mot, il offrait l’abrégé, quoique à un degré proportionné à son rang, de ces qualités, apanage ordinaire des serviteurs de la couronne qui sont envoyés dans les colonies, et qui s’estiment eux-mêmes en raison du mépris que leur inspirent les naturels du pays. On peut dire qu’à ses yeux l’Américain était un animal inférieur à la souche originelle, et qui avait sur le service militaire, en particulier, des idées irréfléchies et absurdes. Braddock lui-même n’était pas plus éloigné de suivre l’avis d’un provincial que son humble imitateur, et l’on savait qu’en plus d’une occasion il avait différé d’exécuter les ordres de deux ou trois de ses officiers, nés en Amérique, simplement pour cette raison ; prenant soin en même temps, avec la finesse d’un Écossais, de ne pas s’exposer au châtiment qu’une désobéissance positive lui eût fait encourir. Mabel ne pouvait donc rencontrer un individu moins propre à entrer dans ses vues, et cependant elle comprit qu’elle n’avait pas une minute à perdre pour mettre son plan à exécution.

— Mon père vous a laissé une grave responsabilité, caporal, lui dit-elle aussitôt qu’elle put le trouver à quelque distance de ses soldats ; — car si l’île tombe entre les mains des ennemis,