Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/472

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de tendresse, et elle le regardait rarement sans qu’une nuance rosée couvrant aussitôt ses joues vînt trahir un sentiment que l’habitude et le temps n’avaient pas encore émoussé. Avec Pathfinder, tout était franc et sincère, mais sa voix ne tremblait jamais, ses yeux ne se baissaient pas, et si son visage s’animait et se couvrait de rougeur, c’était la suite d’une émotion produite par un vif intérêt.

Enfin le moment était venu où Pathfinder devait quitter ses amis. Chingashgook avait déjà abandonné les pirogues, et s’était posté sur la lisière du bois où un sentier conduisait dans la forêt. Là, il attendait tranquillement l’arrivée de son ami. Aussitôt que ce dernier en fut instruit, il se leva d’un air grave pour faire ses adieux.

— J’ai quelquefois pensé que ma destinée était un peu dure, — dit-il, — mais celle de cette femme, Mabel, m’a fait honte et m’a rendu à la raison.

— Rosée-de-Juin reste et demeure avec moi, — dit vivement notre héroïne.

— Je le vois, et si quelqu’un peut la guérir de sa douleur et lui faire désirer de vivre, ce doit être vous, Mabel, et cependant je doute encore que vous puissiez réussir. La pauvre créature est sans tribu, sans mari, et il n’est pas aisé de se consoler de ces deux pertes. Mais, hélas ! qu’ai-je besoin de m’occuper des misères et des mariages des autres ? n’ai-je pas assez de mes propres afflictions ? Ne me parlez pas, Mabel ; ne me parlez pas, Jasper, que je parte en paix avec moi-même, et avec l’énergie d’un homme. J’ai vu votre bonheur, c’est beaucoup, et j’en supporterai mieux mes propres chagrins… Non, je ne veux plus vous embrasser, Mabel, — je ne vous embrasserai plus — jamais.

— Voici ma main, Jasper, — serrez-la, mon ami, serrez-la, ne craignez pas de la voir trembler, c’est la main d’un homme. Maintenant, Mabel, voulez-vous la prendre ?… Non… Vous ne devez pas faire cela. — Et il empêcha Mabel de la baiser et de la couvrir de ses larmes. — Il ne faut pas faire cela.

— Pathfinder, — demanda Mabel, — quand nous reverrons-nous ?


— J’y ai songé ; oui, j’y ai songé. Si jamais vient le temps où je puisse regarder Mabel comme une sœur ou une fille, j’aurais dû dire seulement une fille, car vous êtes assez jeune pour être mon enfant, croyez-moi, je reviendrai, car mon cœur serait plus