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LE LAC ONTARIO.

lure. Il y a une jeune fille parmi eux, et quelques-uns de nos braves n’ont pas de femme.

Mabel heureusement ne comprit pas ces mots ; mais Jasper fronça le sourcil, et ses joues devinrent pourpres de fureur.

Les sauvages ne parlèrent plus, mais le bruit des feuilles et des branches annonça bientôt que la troupe qui était sur la terre s’était remise en marche et s’éloignait. Mais ceux qui étaient dans l’eau restaient encore, et examinaient les bords du rivage avec des yeux qui semblaient des charbons ardents. Au bout de deux ou trois minutes, ils commencèrent à descendre la rivière, mais pas à pas, et comme des hommes qui cherchent quelque chose qu’ils ont perdu. Ils passèrent enfin le buisson artificiel, et Pathfinder ouvrit la bouche pour jouir de ce rire silencieux, que la nature et l’habitude lui avaient rendu particulier. Son triomphe ne fut pourtant que momentané, car, en ce moment même, celui qui marchait le dernier jeta un coup d’œil en arrière, s’arrêta tout-à-coup, et son regard fixé sur le buisson artificiel annonça le fait effrayant que quelque chose avait éveillé ses soupçons.

Il fut peut-être heureux pour les voyageurs que l’Indien qui avait donné ces signes redoutables de méfiance, était jeune et avait encore à se faire une réputation. Il connaissait l’importance de la discrétion et de la modestie dans un guerrier de son âge, et il craignait surtout le ridicule et le mépris qui seraient la suite d’une fausse alarme. Au lieu de rappeler ses compagnons, il retourna sur ses pas, et tandis que les deux autres continuaient à descendre la rivière, il s’approcha doucement du buisson qui semblait lui fasciner les yeux. Quelques-unes des feuilles exposées au soleil penchaient un peu sur leur tige, et cette légère déviation des lois ordinaires de la nature avait frappé l’œil de l’Indien ; car les sens du sauvage deviennent si subtils et si perçants, surtout quand il est en expédition guerrière, que la bagatelle la plus insignifiante est souvent un fil qui le conduit à son but.

La circonstance qui avait fait naître les soupçons du jeune Indien lui parut à lui-même si peu de chose, que ce fut pour lui un nouveau motif pour ne pas vouloir informer ses compagnons de sa découverte. S’il en faisait réellement une, il en aurait plus de gloire en ne la partageant avec personne ; et dans le cas contraire, il pourrait échapper à ces railleries qu’un jeune Indien craint toujours. Il connaissait trop bien les dangers d’une embus-