Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/115

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turier. Une grande partie de la gloire de la prise de Grenade serait ternie par un événement si malheureux.

— Marquise ma fille, dit la reine en se tournant vers l’amie dont la fidélité était depuis si longtemps éprouvée, et qui travaillait à l’aiguille à son côté, les prétentions de Colon paraissent réellement excéder les bornes de la raison.

— Mais l’entreprise elle-même, Señora, dépasse aussi toutes les bornes connues, répondit doña Béatrix en jetant un coup d’œil sur Mercédès ; de nobles efforts méritent de nobles récompenses.

L’œil d’Isabelle suivit le regard de son amie, et se fixa quelques instants sur les traits pâles de la pupille, sa favorite. La belle Castillane ne se doutait pas de l’attention dont elle était l’objet, mais une femme qui avait su pénétrer son secret pouvait aisément découvrir la vive inquiétude avec laquelle elle attendait le résultat de cet entretien. L’opinion de son confesseur avait paru si raisonnable à Isabelle, qu’elle était sur le point de donner son assentiment au rapport des commissaires, et de renoncer entièrement aux espérances secrètes qu’elle commençait à fonder sur le succès des projets du navigateur, quand un sentiment plus doux, un sentiment qui appartenait particulièrement à son cœur et à son sexe, la porta à accorder une autre chance au Génois. Il est rare qu’une femme soit insensible à la sympathie qui naît des sentiments du cœur, et les désirs formés par l’amour de Mercédès de Valverde furent la cause déterminante de la résolution que prit la reine de Castille en ce moment critique.

— Nous ne devons agir à l’égard de ce Génois ni avec dureté ni avec précipitation, señor archevêque, dit-elle en se retournant vers le prélat. Il a de la piété et de la franchise, et ce sont des vertus que des souverains doivent apprendre à apprécier. Ses demandes sont exagérées sans doute ; mais cette exagération est le résultat des longues années qu’il a passées à réfléchir à un grand projet, unique objet de toutes ses pensées : le langage de la douceur et de la raison peut encore le ramener à plus de modération. Qu’on lui fasse donc d’autres propositions de notre part, et la nécessité, sinon un sentiment de justice, le portera sans doute à les accepter. Je conviens que la vice-royauté est un rang que la politique des princes n’accorde pas ordinairement ; et comme vous le dites avec raison, saint prélat, la dîme est une prérogative du clergé ; mais il peut réclamer avec justice le titre