Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/198

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irrésistible d’agonie, ou comme les femmes pleurent dans le premier transport d’une forte émotion.

— Viens, Pépé, s’écria-t-elle de ce ton dont on parle quand on cherche à se persuader que ce qu’on demande ne peut être refusé ; suis-moi, Pépé, ton enfant pleure ton absence. Tu n’en as déjà que trop fait.

— Tu sais, Monica, répondit son mari en jetant un coup d’œil sur l’amiral, qui était déjà assez près d’eux pour pouvoir les entendre ; tu sais que ce n’est pas volontairement que j’entreprends ce voyage pour un pays inconnu. Je voudrais bien pouvoir y renoncer ; mais les ordres de la reine sont trop rigoureux pour qu’un pauvre marin comme moi ose y désobéir.

— C’est de la folie, Pépé, reprit la femme tirant son mari par le collet de son habit pour l’entraîner loin du bord de la mer ; j’ai déjà assez souffert, — assez pour me briser le cœur ; — viens, viens revoir ton enfant !

— Tu ne vois pas que l’amiral est ici, Monica. Nous manquons au respect qui lui est dû.

La déférence d’instinct que les hommes de basse condition ressentent pour les grands fit que Monica se tut un instant. Elle jeta un coup d’œil suppliant sur Colomb ; ses beaux yeux noirs s’animèrent de tous les sentiments d’une épouse et d’une mère, et enfin elle s’adressa à l’amiral lui-même.

— Señor, s’écria-t-elle, vous ne devez plus avoir besoin de Pépé. Il a aidé à conduire vos bâtiments à Huelva ; et maintenant sa femme et son enfant le réclament.

Colomb fut touché des manières de cette femme en qui tout annonçait ce commencement d’égarement de raison qui accompagne quelquefois une douleur excessive, et il lui répondit avec plus de douceur qu’il n’aurait pu être tenté de le faire dans ce moment critique en s’adressant à une femme qui excitait à la désobéissance.

— C’est un honneur pour ton mari d’avoir été choisi pour m’accompagner dans ce grand voyage, lui dit-il, et, au lieu de déplorer son destin, tu agirais plutôt comme la femme d’un brave marin, si tu te réjouissais de sa bonne fortune.

— Ne le crois pas, Pépé ! il parle par l’inspiration du malin esprit, pour t’entraîner à ta perte. Il a blasphémé ; il a donné un démenti à la parole de Dieu en disant que la terre est ronde et qu’on peut arriver à l’est en gouvernent à l’ouest, pour te