Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/205

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suffit d’avoir produit une reine comme doña Isabelle, et une fille comme Mercédès de Valverde.

— C’est une double loyauté, car c’est être fidèle à votre reine et à votre maîtresse. — Je vois qu’il faut me contenter de cette réponse, quoique ce n’en soit pas une. — Ainsi donc, je ne suis pas Castillan, et j’entreprends un voyage au Cathay, ce que les Guzmans eux-mêmes ne se sont pas hasardés à faire : la maison de Transtamare pourra être charmée un jour d’avoir à reconnaître ce qu’elle doit à un Génois. Dans le choix de ses instruments, Dieu n’a égard ni à la condition ni au pays, car la plupart des premiers saints étaient des Hébreux méprisés, et Jésus lui-même vint de Nazareth. Nous verrons, Señor, nous verrons ce que trois mois révéleront à l’admiration des hommes.

— Señor amiral, j’espère que ce sera l’île de Cipango et le royaume de Cathay. Mais si cela n’est pas, nous saurons supporter ce désappointement comme nous aurons supporté les fatigues.

— Je ne redoute aucun désappointement dans cette affaire, don Luis, car j’ai la parole royale d’Isabelle, et ces bonnes caravelles pour me porter. Le bâtiment qui va de Madère à Lisbonne n’est pas plus sûr d’entrer dans le port, que je ne le suis d’arriver au Cathay.

— Nul doute, Señor, que vous ne puissiez faire et que vous ne fassiez tout ce qui est possible à un navigateur. Néanmoins le désappointement est souvent le sort de l’homme, et il serait convenable de nous préparer à le supporter.

— Le soleil, qui commence à descendre derrière cette montagne, Luis, n’est pas plus clairement visible à mes yeux que ne l’est la route des Indes. Je l’ai sous les yeux depuis dix-sept ans, aussi distincte que les bâtiments qui sont sur la rivière, aussi brillante que l’étoile polaire, et non moins sûre, à ce que j’espère. Il est sage de prévoir des désappointements, car c’est le sort des hommes d’y être exposés ; et qui peut le savoir mieux que moi, qui ai été bercé de fausses espérances pendant les plus belles années de ma vie, tantôt encouragé par des princes, des hommes d’État et des ministres de Dieu, tantôt montré au doigt et bafoué comme un visionnaire insensé qui n’avait ni raisonnements ni faits à alléguer en sa faveur.

— Par mon nouveau patron saint Pédro, señor amiral, vous avez pendant un siècle, ou peu s’en faut, mené une vie bien