Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/22

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— Ce drôle n’est qu’un varlet, à peine échappé des mains des femmes.

Tout jeune qu’il paraît, je réponds qu’il a déjà fait face aux Catalans et aux Maures. Tu sais que les nobles ont coutume de conduire aux combats leurs fils bien jeunes encore, afin qu’ils apprennent de bonne heure les hauts faits de la chevalerie.

— Les nobles ! répéta Diégo en riant. Au nom de tous les diables, Rodrigue, à quoi songes-tu de comparer un varlet de camp à un jeune noble ? T’imagines-tu que ce soit un Guzman ou un Mendoza déguisé, pour parler de lui et de chevalerie en même temps ?

— Tu as raison ; cela semble une folie, et pourtant je suis sûr d’avoir déjà vu ses sourcils froncés dans une bataille, et d’avoir entendu cette voix rallier les soldats sous leurs étendards. — Par saint Jacques de Compostelle ! j’y suis ! — Écoute, Diego ! — un mot à l’oreille.

Le vétéran conduisit alors son jeune compagnon à l’écart, quoiqu’il ne se trouvât auprès d’eux personne qui pût écouter, et regardant avec soin autour de lui pour s’assurer qu’on ne pouvait l’entendre, il dit quelques mots a l’oreille de Diégo.

— Sainte mère de Dieu ! s’écria celui-ci reculant trois pas de surprise et de crainte, tu te trompes sûrement, Rodrigue.

— Je garantirais ce que je viens de te dire sur le salut de mon âme, répondit le vétéran d’un ton positif. Ne l’ai-je pas vu souvent la visière levée, et ne l’ai-je pas suivi plus d’une fois à la charge ?

— Et se montrer comme valet d’un marchand ! — Je ne sais même si ce n’est pas comme valet d’un juif !

— Notre métier, Diégo, est de nous battre sans examiner la cause de la querelle, de regarder sans voir et d’écouter sans entendre. Quoique ses coffres soient vides, don Juan est un bon roi ; il est l’oint du Seigneur, et nous devons nous montrer des soldats discrets.

— Mais il ne me pardonnera jamais de lui avoir pincé la jambe et de lui avoir parlé aussi follement que je l’ai fait.

— Bah ! — il n’est pas probable que tu te rencontres avec lui à la table du roi ; et sur le champ de bataille, comme il a coutume d’être au premier rang, il ne sera pas tenté de tourner la tête en arrière pour te chercher.

— Tu crois donc qu’il n’est pas probable qu’il me reconnaisse ?

— Et quand il te reconnaîtrait, il ne faudrait pas t’en inquiéter.