Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/396

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pour épargner aux gens de l’équipage le temps nécessaire pour les serrer. Dans cette crise, on eut encore recours aux pieuses coutumes des marins ; et il tomba de nouveau en partage à l’amiral de faire un pèlerinage à quelque saint favori. De plus, l’équipage fit vœu de jeûner au pain et à l’eau, le premier samedi après son arrivée en Espagne.

— Il est à remarquer, don Christophe, dit Luis lorsqu’ils se trouvèrent de nouveau seuls sur la dunette ; il est à remarquer que ces pèlerinages vous tombent toujours en partage. Vous avez été choisi trois fois par la Providence, comme un instrument de remerciement et de pénitence. Cela vient de votre foi sincère.

— Dites plutôt, Luis, que cela vient de mes nombreux péchés. Mon orgueil seul devrait attirer sur moi des pénitences plus sévères que celles-ci. Je crains d’avoir oublié que j’étais simplement un agent choisi par Dieu pour parvenir à ses fins sublimes, et d’être tombé dans les pièges de Satan en pensant que ma sagesse et ma science avaient fait le grand exploit dont Dieu est véritablement le seul auteur.

— Nous croyez-vous en danger, Señor ?

— Nous sommes entourés de plus grands périls, don Luis, que nous n’en avons couru depuis que nous avons quitté Palos. Nous sommes jetés vers le continent, qui ne peut pas être à plus de trente lieues d’ici ; et, comme vous le voyez, l’Océan devient de plus en plus furieux. Heureusement la nuit est bien avancée, et le jour peut nous procurer les moyens de nous sauver.

Le jour reparut comme à l’ordinaire ; car, quelles que soient les scènes qui s’accomplissent et sa surface, la terre n’en continue pas moins sa révolution journalière dans son immensité sublime, donnant par chacun de ces changements, aux atomes qui couvrent son sein, la preuve irrécusable qu’un pouvoir tout-puissant préside à tous ses mouvements. La lumière du jour n’apporta néanmoins aucun changement dans l’aspect de l’Océan ni dans celui du ciel. Le vent soufflait avec furie, et la Niña luttait avec effort au milieu de ce chaos de vagues, en s’approchant de plus en plus du continent qui était devant elle.

Au milieu de l’après-midi, les signes de l’approche de la terre devinrent plus apparents, et personne ne douta que le bâtiment ne fût près des côtes de l’Europe. Cependant on ne pouvait distinguer que l’Océan en furie, le ciel menaçant, et cette espèce de lueur surnaturelle dont l’atmosphère est si souvent chargée pen-