Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/486

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fixés sur l’Océan, et Luis, assis à ses pieds sur un tabouret, tenait une guitare. Il venait de jouer, en s’accompagnant de la voix, l’air national qu’elle préférait ; et lorsqu’il posa l’instrument à terre, il s’aperçut que sa jeune épouse ne l’écoutait pas avec sa tendresse et son attention ordinaires.

— Tu es pensive, Mercédès ? dit-il en se penchant en avant pour mieux saisir l’expression mélancolique de ses yeux, où l’enthousiasme brillait si souvent.

— Le soleil va disparaître du côté de la patrie de la pauvre Ozéma, Luis, répondit Mercédès avec un léger tremblement dans la voix ; cette circonstance, jointe à la vue de cet Océan sans bornes, image si frappante de l’éternité, m’a rappelé ses derniers moments. Sûrement, sûrement, une créature si innocente ne peut avoir été condamnée à d’éternels supplices, par ce seul motif qu’un esprit peu éclairé et ses sentiments passionnés la rendaient incapable de comprendre tous les mystères de l’Église !

— Je voudrais que ta pensée se reportât moins souvent sur ce sujet, mon amour ; les prières et les messes qui ont été dites pour son âme devraient te tranquilliser ; ou, si tu le désires, on peut encore faire prier pour elle.

— Nous le ferons, reprit la jeune femme d’un ton si bas qu’on l’entendait à peine, tandis que des larmes coulaient le long de ses joues. Le meilleur d’entre nous a besoin de prières, et nous en devons faire pour la pauvre Ozéma. As-tu pensé à engager de nouveau l’amiral à rendre autant de services qu’il le pourra à Mattinao, lorsqu’il sera arrivé à Española ?

— C’est une chose convenue ; ainsi, cesse de t’en occuper. Un monument est déjà élevé à Llera ; et s’il nous est permis de déplorer la perte de cette aimable fille, à peine devons-nous la plaindre. Si Luis de Bobadilla n’était ton mari, cher ange, il la regarderait comme un objet d’envie plutôt que de pitié.

— Ah ! Luis, cette flatterie m’est trop agréable pour que j’y réponde par un reproche, mais elle me semble peu convenable. En vérité, le bonheur même que me donne la certitude de ton amour, — la pensée que nos fortunes, nos destins, notre nom, nos intérêts ne sont qu’un ; — ce bonheur si grand n’est que misère, si on le compare avec les joies séraphiques des bienheureux ; et c’est à cette félicité suprême que je désirerais que l’âme d’Ozéma pût participer.

— N’en doute pas, Mercédès ; Ozéma possède tout le bonheur