Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/7

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aussi vraie que dans les romans dont le sujet appartient à la patrie de l’auteur. Avant de composer ceux de ses romans dont l’action se passe en Amérique, il l’avait visitée en observateur, en poëte. Aussi l’Amérique y revit-elle tout entière, avec ses fleuves immenses, ses cités nées d’hier, fraîches et régulières comme des villas, avec ses mœurs domestiques, ses femmes pleines d’un éclat pur qui leur est particulier ; l’Amérique enfin telle qu’elle existe ou qu’elle a existé. Dans les Pionniers, dans le Dernier des Mohicans, Dans Lionel Lincoln, vous retrouverez non seulement l’histoire, mais encore la physionomie moderne ou primitive, selon l’époque choisie par le romancier, des États dont se compose aujourd’hui l’Union américaine. Dans l’Espion, la guerre de l’indépendance et le patriotisme de ce temps d’héroïques efforts sont retracés sans exagération, mais aussi avec une touche vive et un peu âpre par endroits, qui convient à merveille à la peinture de cette glorieuse époque. La grande figure de Washington, qui domine le fond du tableau, y apparaît avec toutes les éminentes qualités de son excellente nature : l’héroïsme calme, la modestie, et, si l’on peut ainsi dire, toute l’auguste simplicité caractéristique du héros américain. Harvey Birch, l’espion, n’est pas une figure de moindre mérite. C’est peut-être la plus dramatique création de Cooper ; car Harvey Birch n’a pas fait seulement à son pays le sacrifice de sa vie. Né avec de hautes facultés, un cœur généreux et chaud, l’instinct des nobles choses, il se résout pour sa patrie à la perte de son honneur ; il consent à être la plus basse et la plus vile chose de ce monde, espion. Le mot dit tout. Et en lui-même cependant, lorsqu’il considère à quel but il tend par l’exercice de son métier infâme, cet homme ne peut se mépriser ; il trouve en son cœur de quoi se consoler, et, dans son opprobre, le sentiment des services qu’il rend à son pays lui tient lieu de tout, le paie de ses souffrances, de ses périls, et rachète suffisamment à ses yeux son honneur à jamais perdu selon le monde. — Le même genre d’intérêt, à savoir l’intérêt dramatique, qui ressort de la lutte intérieure de deux principes qui se disputent l’homme, ne se retrouve pas au même degré dans les autres ouvrages de Cooper ; mais on en est amplement dédommagé par l’intérêt proprement dit : il y naît du récit même, du fond du sujet ; d’ordinaire un peu lentement au début, mais avec progression et puissance, pour ainsi dire fatalement, au milieu même de détails qui quelquefois sembleraient devoir l’exclure. — Le reproche de prolixité, d’ennui causé par les longueurs et les digressions, n’a pas été épargné à Cooper ; mais ce défaut, qui est d’ailleurs commun à Walter Scott, est si largement racheté par la vérité, la fidélité de la peinture, que nous ne nous en sommes jamais plaint pour notre compte. Puis, quand vous êtes une fois engagé dans ces pages, que vous commencez à entrer au cœur de l’œuvre, c’est une lecture si attachante, que vous ne pouvez plus la quitter ; et cela répond à toutes les critiques. Vous ne vous sentez pas porté, dès l’abord, il est vrai ; — vous êtes comme ces navires qu’aucun vent ne pousse au sortir du port, qui s’en arrachent à grand’-