Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/86

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— Que votre impétuosité ne vous rende pas injuste, Luis. Doña Béatrix de Moya n’est ni froide ni prude ; elle est tout le contraire. Jamais esprit plus vrai et plus généreux ne s’est sacrifié à l’amitié, et son caractère n’est que franchise et générosité. Une grande partie de ce que j’aime tant en vous vient de sa famille, et vous ne devriez pas lui en faire un reproche. Quant à Son Altesse, certes, il serait inutile de faire l’éloge de ses qualités. Vous savez qu’elle est regardée comme la mère de son peuple ; qu’elle veille aux intérêts de tous ses sujets sans distinction, autant du moins qu’elle peut les connaître ; et ce qu’elle fait pour qui que ce soit part toujours d’une si véritable affection et d’une telle prudence, que j’ai entendu le cardinal dire qu’elle semble inspirée par la sagesse infinie.

— Oui, oui, Mercédès ; mais il n’est pas difficile de paraître prudente, bienveillante et inspirée ; quand on a la Castille pour trône, et le Léon avec d’autres riches provinces pour marchepied.

— Don Luis, dit doña Mercédès avec une gravité qui n’avait rien de la faiblesse de son sexe, quoiqu’elle en eût la sincérité, ne parlez pas légèrement de doña Isabelle, si vous voulez conserver mon estime. Quoi qu’elle puisse avoir fait dans cette affaire, elle l’a fait avec les sentiments et la bonté d’une mère ; et votre injustice me fait presque craindre qu’elle ne l’ait fait aussi avec une sagesse maternelle.

— Pardon, chère Mercédès ; pardon, ô vous mille fois plus aimée et plus adorée que jamais, à présent que vous m’avez montré une confiance si généreuse. Mais je ne puis être tranquille jusqu’à ce que je sache ce que la reine a dit et ce qu’elle a fait, en tout ce qui nous concerne, vous et moi.

— Vous savez combien elle a toujours été bonne et gracieuse pour moi, Luis, et combien je lui dois de reconnaissance pour toutes les faveurs que j’ai reçues d’elle. Je ne sais comment cela se fait, mais tandis que votre tante n’a jamais paru découvrir mes sentiments, et que tous ceux à qui je tiens par les liens du sang ont semblé partager son aveuglement, l’œil de la reine a pénétré un mystère que je ne crois pas que je connusse encore moi-même à cette époque. Vous vous rappelez le tournoi qui eut lieu presque à l’instant où vous alliez partir pour votre dernière et folle excursion ?

— Si je m’en souviens ! N’est-ce pas la froideur que vous m’avez