Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 18, 1841.djvu/94

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siennes propres, car aucun peuple ne fournit des preuves plus fortes de ce genre d’intervention, surtout dans des contrées où des religionnaires ont été les premiers à s’établir et qui continuent à rester sous l’influence de la secte particulière qui y dominait dans l’origine ; et peut-être le trait le plus marqué d’esprit national qui y existe en ce moment — une disposition à étendre le pouvoir de la société au-delà des limites fixées par les institutions et les lois sous le nom spécieux d’opinion publique — à son origine dans la constitution politique d’églises démocratiques qui ont aspiré à être imperium in imperio, et a été confirmé et fortifié par leur mode d’administration et par les coutumes provinciales. Quoi qu’il en soit, on ne peut douter de l’ascendant que le clergé catholique exerçait dans toute la chrétienté avant la réformation, et Isabelle était trop sincèrement dévote et trop pieuse sans affectation pour ne pas accorder à ses membres toutes les prérogatives qui étaient d’accord avec ses idées de justice, et notamment la liberté d’approcher de sa personne et une certaine influence sur toutes les mesures qu’elle prenait.

Dans le moment dont nous parlons, il se trouvait chez la reine, entre autres personnes distinguées, Fernando de Talavéra, qui venait d’être nommé archevêque de Grenade, et le père Pédro de Carrascal, qui avait été précepteur de Luis de Bobadilla, prêtre sans bénéfice, qui devait à la grande simplicité de son caractère et à sa haute naissance la faveur dont il jouissait. Isabelle, assise devant une petite table, travaillait à l’aiguille, et l’objet de sa tâche n’était rien autre qu’une chemise pour le roi ; humble devoir dont elle aimait à s’acquitter aussi scrupuleusement que si elle eût été l’épouse d’un marchand de sa capitale. C’était l’une des habitudes du siècle, si ce n’était pas une partie de la politique des princes ; car beaucoup de voyageurs ont vu la célèbre selle de la duchesse de Bourgogne, sur laquelle une place était arrangée pour sa quenouille, afin que, lorsqu’elle sortait en public, elle pût donner l’exemple du travail à ses sujets plongés dans l’admiration ; et même aujourd’hui, dans ce temps de luxe, où peu de dames daignent toucher à un ouvrage aussi utile que celui dont s’occupait l’aiguille d’Isabelle de Castille, nos yeux ont vu une reine, assise au milieu des princesses ses filles, travailler à l’aiguille avec le même soin que si son existence eût dépendu de son travail[1]. Mais doña Isabelle était sans

  1. Cooper veut sans doute désigner ici la reine des Français Marie-Amélie.