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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/104

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DEERSLAYER

En parlant ainsi, il appuya le pied sur le bord de la pirogue, et la poussant vigoureusement, il l’envoya à plus de cent pieds du rivage, où, rencontrant le vrai courant, elle ne pouvait plus courir le danger de se rapprocher de la terre. Le sauvage fit un geste de surprise à cet exploit décidé et inattendu, et son compagnon le vit jeter un regard furtif et équivoque sur l’autre pirogue, qui contenait toutes les rames. Cependant le changement de physionomie de l’Indien ne dura qu’un instant ; il reprit sur-le-champ son air amical, et un sourire parut même sur ses lèvres.

— Bon ! dit-il avec plus d’emphase que jamais. — Jeune corps, vieille tête. — Bon moyen, — querelle finie. — Adieu, mon frère. — Vous à la maison sur l’eau, la maison du rat musqué, — moi, au camp, dire aux chefs pas trouvé de pirogue.

Deerslayer ne fut pas fâché d’entendre cette proposition, car il lui tardait d’aller rejoindre les filles de Hutter, et il serra avec plaisir la main que l’Indien lui offrait. Leurs derniers mots furent de nouvelles assurances d’amitié, et tandis que l’homme rouge retournait vers le bois son mousquet sous le bras, comme le porte un chasseur, sans se retourner une seule fois par inquiétude ou méfiance, l’homme blanc s’avança vers sa pirogue en portant sa carabine d’une manière aussi pacifique, mais en suivant des yeux tous les mouvements de l’Indien. Cependant cette méfiance finit par lui paraître déplacée, et comme s’il eût été honteux de s’y être livré, il monta indolemment sur sa pirogue, et ne songea plus qu’à faire ses préparatifs de départ. Il n’y avait pas une minute qu’il s’en occupait, quand ses yeux, se portant par hasard vers la terre, lui apprirent le danger imminent que courait sa vie. Les yeux noirs et féroces du sauvage étaient fixés sur lui comme ceux d’un tigre à travers les branches entr’ouvertes d’un buisson, et il y passait déjà le canon de son mousquet pour ajuster celui qu’il venait de nommer son frère.

Ce fut alors que la longue pratique de Deerslayer comme chasseur lui fut utile. Accoutumé à tirer sur le daim pendant qu’il bondissait, et même quand il ne pouvait connaître que par conjecture la position précise du corps de l’animal, il eut recours en ce moment aux mêmes expédients. Ramasser sa carabine, l’armer, et en appuyer la crosse sur son épaule furent l’affaire d’un seul instant et d’un seul mouvement, et, presque sans ajuster, il tira sur la partie du buisson où il savait qu’un corps devait se trouver pour soutenir la tête menaçante qui se montrait seule. Il ne crut pas avoir le temps de lever plus haut sa carabine, ni d’ajuster avec plus de précision. Ses mouvements furent si rapides que les deux coups par-