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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/109

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OU LE TUEUR DE DAIMS.

chevelure ; que votre âme soit tranquille ! Quand votre corps ira la rejoindre dans le pays des esprits, il pourra y figurer décemment.

Après avoir ainsi parlé, Deerslayer se leva, plaça le corps du sauvage comme s’il eût été assis, le dos appuyé contre un petit rocher, et prit soin qu’il ne pût tomber ou prendre une attitude qui, suivant les idées de sensibilité bizarre des Indiens, pût paraître inconvenante. Quand il eut accompli ce devoir, il regarda son ennemi avec une sorte d’abstraction mélancolique, et suivant la coutume qu’il avait contractée en vivant si souvent seul dans la forêt, il commença bientôt à penser tout haut.

— Je n’en voulais pas à votre vie, Peau-Rouge, dit-il ; mais vous ne m’avez laissé d’autre alternative que de vous tuer ou d’être tué. Nous avons agi tous deux suivant nos dons respectifs, et l’on ne doit blâmer ni l’un ni l’autre. Vous m’avez attaqué en trahison, parce que c’est votre nature dans la guerre, et j’ai manqué de précaution, parce que la mienne est d’avoir confiance dans les autres. Eh bien ! voilà mon premier combat contre un de mes semblables, et il est probable que ce ne sera pas le dernier. J’ai combattu la plupart des créatures des forêts, les ours, les loups, les panthères et les chats sauvages, et voici mon commencement avec les Peaux-Rouges. Si j’étais né Indien, je pourrais m’en vanter, emporter une chevelure, et faire trophée de cet exploit devant toute ma tribu ; si mon ennemi avait été un ours, je pourrais raconter comment les choses se sont passées ; mais je ne vois pas comment je puis confier ce secret même à Chingachgook, puisque je ne puis le faire qu’en me vantant avec une langue blanche. Et pourquoi voudrais-je m’en vanter, après tout ? C’est un homme que j’ai tué, quoique ce fût un sauvage ; puis-je savoir si c’était un Indien fidèle à sa nature, ou si je ne l’ai pas envoyé tout d’un coup partout ailleurs que dans ses forêts pleines de gibier ? Quand on n’est pas sûr d’avoir fait bien ou mal, le plus sage est de ne pas s’en vanter. Cependant je voudrais que Chingachgook sût que je ne fais pas honte aux Delawares ni à l’éducation qu’ils m’ont donnée.

Une partie de ce discours fut prononcée tout haut, et il ne fit que murmurer le reste entre ses dents. Ses opinions bien décidées eurent le premier avantage, mais ses doutes ne furent exprimés qu’à demi-voix. Ses réflexions et son soliloque furent interrompus d’une manière inquiétante par l’apparition subite d’un second Indien sur le bord du lac à deux ou trois cents toises de la pointe. Ce sauvage, évidemment un espion comme le premier, et qui avait été probablement attiré en cet endroit par le bruit des coups de feu, sortit du