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OU LE TUEUR DE DAIMS.

de vent qu’il faisait, et il commença à croire qu’il existait dans le lac un courant invisible qui l’entraînait. Il redoubla donc d’efforts pour s’en remettre en possession avant qu’elle arrivât à une proximité dangereuse de la terre. Quand il en fut plus près, il pensa que la pirogue avait un mouvement sensible dans l’eau, et que, quoiqu’elle fût par le travers du vent, ce mouvement la portait vers la terre. Quelques vigoureux coups de rames l’en approchèrent encore davantage, et le mystère s’expliqua. Quelque chose était évidemment en mouvement sur le côté de la pirogue qui était le plus éloigné du jeune chasseur, et un examen plus sérieux lui apprit que c’était le bras nu d’un homme. Un Indien était étendu au fond de la pirogue, et se servant de son bras comme d’une rame, il la faisait avancer vers la terre lentement, mais avec certitude. Un seul coup d’œil fit comprendre à Deerslayer tout ce qui s’était passé. Un sauvage s’était mis à la nage pour s’emparer de la pirogue, tandis que le jeune chasseur était occupé avec l’autre Indien sur la pointe ; et il avait imaginé ce moyen pour la conduire à terre.

Convaincu que l’homme qui était dans la pirogue ne pouvait avoir d’armes, Deerslayer n’hésita pas à avancer la sienne de manière à la placer bord à bord avec l’autre, sans même juger nécessaire de lever sa carabine. Dès que le sauvage entendit le bruit des rames de l’autre pirogue, il se leva précipitamment, et poussa une exclamation qui prouvait combien il était pris par surprise.

— Si vous vous êtes assez amusé de votre promenade dans cette pirogue, Peau-Rouge, lui dit Deerslayer d’un ton calme, cessant de ramer assez à temps pour prévenir un contact entre les deux nacelles, vous agirez prudemment en la quittant à la nage comme vous y êtes arrivé. Je ne vous demande que ce qui est raisonnable, car je n’ai pas soif de votre sang, quoiqu’il y ait bien des gens qui regarderaient votre chevelure comme un bon de prime plutôt que comme le couvre-chef d’un homme. M’entendez-vous ? Jetez-vous dans ce lac à l’instant, avant que nous n’en venions aux gros mots.

Ce sauvage ne savait pas un mot d’anglais, et s’il comprit à peu près ce que lui disait Deerslayer, il en fut redevable aux gestes de celui-ci, et à l’expression d’un œil qui ne trompait jamais. Peut-être aussi la vue de la carabine qui était à portée de la main de l’homme blanc accéléra-t-elle sa détermination. Quoi qu’il en soit, il s’accroupit comme un tigre qui va prendre son élan, poussa un grand cri, et le moment d’après son corps nu disparut sous l’eau. Quand il revint à la surface pour respirer, il était à quelques toises de la pirogue, et le regard qu’il jeta derrière lui prouva combien il crai-