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DEERSLAYER

coucher du soleil ? demanda Judith à Deerslayer, qui tenait l’aviron-gouvernail, tandis qu’elle était près de lui, travaillant à quelque parure fort au-dessus de sa situation dans le monde, et qui était une nouveauté sur la frontière. Quelques minutes de plus ou de moins sont-elles une chose importante ? Il sera dangereux de rester longtemps près d’un rocher qui est si voisin du rivage.

— Cela est vrai, Judith ; c’est là la difficulté. Ce rocher est à portée de mousquet du rivage, et il ne serait pas bon d’en approcher de trop près, ni d’y rester trop longtemps. Quand on a affaire à un Indien, il faut toujours calculer et ruser, car une Peau Rouge n’aime rien tant que l’astuce. Or vous voyez que je ne gouverne pas vers le rocher, mais que je m’en dirige à l’est, ce qui fera que les sauvages se mettront à courir de ce côté, et se fatigueront les jambes sans en retirer aucun avantage.

— Vous croyez donc qu’ils nous voient, et qu’ils épient nos mouvements, Deerslayer ? J’espérais qu’ils se seraient retirés dans ces bois, et qu’ils nous laisseraient quelques heures de repos.

— C’est bien là l’idée d’une femme. Il n’y a jamais d’interruption à la vigilance des Indiens, quand ils sont sur le sentier de guerre, et ils ont en ce moment les yeux sur nous. Quoique le lac nous protège, il faut nous approcher du rocher avec calcul, et tâcher de mettre les mécréants sur une fausse piste. Les Mingos ont bon nez, à ce qu’on dit ; mais la raison d’un homme blanc doit bien valoir leur instinct.

La conversation de Judith avec le jeune chasseur roula alors sur divers sujets, et, dans cet entretien, elle ne put cacher l’intérêt toujours croissant qu’elle prenait à lui ; intérêt que sa franchise naturelle, son caractère décidé, et le sentiment intime de l’effet que ses traits produisaient si universellement, firent qu’elle chercha moins à dissimuler qu’elle ne l’aurait probablement fait sans cela. On ne pouvait dire qu’elle eût des manières hardies, mais il y avait quelquefois dans ses regards un air de liberté qui avait besoin de l’aide de toute sa beauté pour prévenir des soupçons défavorables à sa discrétion, sinon à ses mœurs. Ces regards étaient pourtant moins susceptibles d’une interprétation si fâcheuse quand elle était avec Deerslayer, car elle ne le regardait presque jamais qu’avec cet air de naturel et de sincérité qui accompagne toujours les plus pures émotions d’une femme. Il est assez remarquable qu’à mesure que la captivité de leur père se prolongeait, aucune de ses filles ne montrait beaucoup d’inquiétude pour lui ; mais, comme on l’a déjà dit, leurs habitudes leur inspiraient de la confiance, et elles comptaient