Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
140
DEERSLAYER

marquait la position de la vallée de ce côté, au-dessus du massif de grands arbres, par une espèce d’obscurité adoucie et produite par la différence entre les ténèbres de la forêt et celles de la nuit, différence qui n’est visible que dans l’air. À la fin les détails de cette scène attirèrent l’attention de Judith et de Deerslayer, et ils cessèrent leur entretien, afin de contempler la tranquillité solennelle et le profond repos de la nature.

— C’est une nuit bien obscure, dit la jeune fille après une pause de plusieurs minutes. J’espère que nous pourrons trouver le château.

— Il n’y a guère à craindre que nous le manquions si nous suivons ce chemin tracé au milieu du lac, répliqua le jeune homme. La nature nous a préparé ici une route, et, toute sombre qu’elle est, il y aura peu de difficulté à la suivre.

— N’entendez-vous rien, Deerslayer ? on dirait que l’eau est agitée près de nous !

— Certainement ; l’eau à une agitation extraordinaire : c’est sans doute quelque poisson ; ces créatures-là se font la guerre comme les hommes et les animaux se la font sur la terre. Un poisson aura sauté hors de l’eau et sera retombé lourdement dans son propre élément. Il n’est prudent à personne, Judith, de vouloir sortir de son élément, puisque la nature veut qu’on y reste ; et la nature doit avoir son cours. Ah ! cela ressemble au bruit d’une rame maniée avec des précautions plus qu’ordinaires !

En ce moment le Delaware se pencha en avant, et d’un geste significatif il montra les limites des ténèbres comme si quelque objet eût tout à coup frappé ses regards. Deerslayer et Judith suivirent tous deux la direction de son geste, et tous deux aperçurent une pirogue au même instant.

On voyait obscurément cet inquiétant voisin, que des yeux moins exercés n’auraient peut-être pas pu distinguer, quoique pour ceux qui se trouvaient dans l’arche cet objet fût évidemment une pirogue montée par un seul individu qui se tenait debout et qui ramait. Quant au nombre de ceux qui pouvaient être cachés dans le fond, naturellement on l’ignorait. Il était impossible de s’éloigner à force de rames d’une pirogue d’écorce conduite par des bras vigoureux et habiles : aussi les deux hommes saisirent-ils leurs carabines dans l’attente d’un combat.

— Je puis aisément abattre le rameur, dit Deerslayer à voix basse, mais nous le hélerons d’abord pour lui demander sa destination. Alors élevant la voix, il cria d’une voix solennelle : Holà ! Si vous approchez, je serai obligé de faire feu, quoique malgré moi,