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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/165

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OU LE TUEUR DE DAIMS.

de notre histoire. En fuyant par une route directe vers le Canada, ils se seraient exposés aux dangers d’une poursuite directe ; et par esprit de ruse, les chefs avaient résolu de pénétrer plus avant dans la contrée devenue dangereuse, dans l’espoir d’être à même de se retirer à la suite de ceux qui les poursuivaient, au lieu de les avoir sur leurs traces. La présence des femmes avait inspiré ce stratagème, car elles n’auraient pas été capables de soutenir les fatigues nécessaires pour se soustraire à la poursuite de l’ennemi. Si le lecteur songe à la vaste étendue du désert américain à cette époque reculée, il comprendra qu’il était impossible même à une tribu de rester des mois entiers dans certaines portions de ce pays sans être découverte ; et en prenant les précautions ordinaires, le danger de rencontrer un ennemi n’était pas aussi grand dans les bois qu’il l’est en pleine mer dans un temps de guerre active.

Le campement étant temporaire, n’offrait autre chose à la vue que la rude défense d’un bivouac, aidée jusqu’à un certain point par les ressources ingénieuses inventées par l’esprit subtil de ceux qui passaient leur vie au milieu de semblables scènes. Un seul feu, allumé sur les racines d’un chêne, suffisait à toute la troupe, le temps étant trop doux pour qu’on en eût besoin pour autre chose que pour cuire les aliments. Autour de ce centre d’attraction étaient disséminées quinze ou vingt huttes basses, — chenils seraient peut-être une expression plus juste, — dans lesquelles les occupants entraient la nuit en rampant, et qui étaient en outre destinées à offrir des abris en cas d’orage. Ces petites huttes étaient construites en branches d’arbres adroitement entrelacés, et uniformément couvertes d’écorce arrachée aux arbres morts que l’on voit par centaines dans toute forêt vierge. Il y avait absence presque totale de meubles. Des ustensiles de cuisine de la plus simple espèce étaient déposés près du feu ; on apercevait quelques articles d’habillement dans l’intérieur ou autour des huttes ; des mousquets, des poires à poudre, des gibecières étaient appuyés contre les arbres ou suspendus aux branches inférieures, et les carcasses de deux ou trois daims étaient exposées à la vue sur les mêmes abattoirs naturels.

Comme le campement se trouvait au milieu d’un bois touffu, on ne pouvait en embrasser l’ensemble d’un seul coup d’œil ; mais les huttes se détachaient l’une après l’autre de ce sombre paysage, à mesure qu’on cherchait à distinguer les objets. Il n’y avait aucun centre, à moins qu’on ne considérât le feu sous ce point de vue, aucune place découverte où les possesseurs de ce misérable village pussent s’assembler : tout était caché, obscur, couvert et dissimulé,