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OU LE TUEUR DE DAIMS.

— Nous sommes ici en sûreté, Hetty, dit-elle, et nous pouvons nous entretenir sans crainte d’être entendues. Parlez bas pourtant, car les sons s’entendent de loin sur l’eau pendant le silence de la nuit. J’étais si près de la pointe durant une partie du temps que vous avez passé à terre, que j’entendais les voix des Hurons, et j’ai reconnu le bruit de vos pas sur le sable avant que vous m’eussiez parlé.

— Je crois que les Hurons ne se doutent pas que je les ai quittés, Judith.

— Très-probablement. Un amant est une pauvre sentinelle à moins qu’il ne monte la garde pour attendre sa maîtresse. Mais avez-vous vu Deerslayer ? lui avez-vous parlé ?

— Oh, oui ! il était assis près du feu, les jambes liées ; mais il avait les bras libres, et il pouvait les remuer comme bon lui semblait.

— Eh bien, que vous a-t-il dit ? Parlez vite ! je meurs d’envie de savoir ce qu’il vous a chargée de me dire.

— Ce qu’il m’a dit ? le croirez-vous, Judith ? il m’a dit qu’il ne savait pas lire. Un homme blanc n’être pas en état de lire même la Bible ! il est impossible qu’il ait jamais eu une mère, ma sœur.

— Ne songez pas à cela, Hetty ; tous les hommes ne peuvent savoir lire. Quoique notre mère sût tant de choses et nous ait donné de si bonnes leçons, vous savez que c’est tout au plus si mon père peut lire la Bible.

— Je n’ai jamais pensé que les pères pussent beaucoup lire, mais toutes les mères doivent savoir lire, sans quoi comment pourraient-elles l’apprendre à leurs enfants ? Soyez-en sûre, Judith, Deerslayer ne peut avoir eu une mère, sans cela il saurait lire.

— Lui avez-vous dit que c’était moi qui vous avais envoyée à terre, s’écria Judith avec impatience, et combien je suis désolée du malheur qui lui est arrivé ?

— Je crois le lui avoir dit, Judith ; mais vous savez que j’ai l’esprit faible, et je puis l’avoir oublié. Au surplus, je lui ai dit que c’était vous qui m’aviez amenée à terre. Et il m’a dit bien des choses que je devais vous répéter, et je me les rappelle fort bien, car mon sang se glaçait dans mes veines en l’écoutant. Il m’a chargée de dire que ses amis… je suppose que vous en faites partie, ma sœur ?

— Comment pouvez-vous me tourmenter ainsi, Hetty ? Certainement je suis du nombre des amis les plus vrais qu’il puisse avoir sur la terre.

— Vous tourmenter ! oh ! je me souviens de tout à présent. Je suis