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OU LE TUEUR DE DAIMS.

inutiles, elles furent convaincues, à leur grand regret, que le scow était parti.

Beaucoup de jeunes filles auraient senti le désagrément de leur situation, dans un sens matériel, dans les circonstances où se trouvaient les deux sœurs, plutôt que des appréhensions d’une autre nature ; mais il n’en fut pas ainsi de Judith, et Hetty elle-même eut plus d’inquiétude sur les motifs qui avaient déterminé la conduite de son père et de Hurry, que de crainte sur sa propre sûreté.

— Cela est impossible, Hetty, dit Judith quand elle fut convaincue que l’arche n’était plus où elle l’avait laissée ; il est impossible que les Indiens soient arrivés sur un radeau ou à la nage, et aient surpris nos amis pendant qu’ils dormaient.

— Je ne crois pas, répondit Hetty, que Chingachgook et Hist se soient endormis avant de s’être dit tout ce qu’ils avaient à se dire après une si longue séparation.

— Peut-être non. Il y avait bien des choses qui pouvaient les tenir éveillés ; mais un Indien peut être surpris, même sans dormir, quand ses pensées sont occupées d’autre chose. Cependant nous aurions dû entendre du bruit. Par une nuit comme celle-ci, un jurement de Hurry Harry serait répété par les échos des montagnes comme un coup de tonnerre.

— Hurry est inconsidéré dans ses discours, dit Hetty avec douceur et tristesse.

— Mais non, non, il est impossible que l’arche ait été prise sans que j’aie entendu aucun bruit. Il n’y a pas une heure que je l’ai quittée, et depuis ce temps j’ai toujours été attentive au moindre son. Et pourtant il n’est pas facile de croire qu’un père ait pu volontairement abandonner ses enfants.

— Mon père a peut-être cru que nous dormions dans notre chambre, et il sera parti pour retourner au château. Vous savez que l’arche a vogué plus d’une fois sur le lac pendant la nuit.

— Ce que vous supposez, Hetty, paraît vraisemblable ; le vent a passé un peu plus au sud, et ils auront remonté le lac pour…

Judith ne put finir sa phrase : une lueur semblable à celle d’un éclair illumina un instant le lac et la forêt ; un coup de mousquet se fit entendre, et tous les échos des montagnes de la rive orientale répétèrent cette détonation. Presque au même instant une voix de femme poussa un cri affreux et prolongé. Le silence qui y succéda sembla même prendre un caractère encore plus redoutable, s’il est possible, que cette interruption subite et effrayante de la tranquillité de la nuit. Toute courageuse qu’elle était par caractère et par