Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
291
OU LE TUEUR DE DAIMS.

Tom. Vous et moi nous avons été prisonniers des sauvages, — il lui convenait de s’en souvenir en ce moment, — et pourtant Judith n’a pas remué d’un pouce pour nous servir. Elle a été ensorcelée par ce squelette de Deerslayer, et elle, vous, moi, nous tous, nous ferons bien d’y veiller de près. Je ne suis pas homme à digérer tranquillement un tel affront, et l’on fera bien d’y prendre garde. — Mais levons le grappin, vieux Tom, et approchons davantage de cette pointe pour voir un peu ce qui s’y passe.

Hutter ne fit aucune objection à cette proposition. Le grappin fut levé, et la voile établie avec tout le soin nécessaire pour ne faire aucun bruit ; et comme le vent passait en ce moment au nord, le scow arriva bientôt assez près de la pointe pour qu’on pût entrevoir le sombre contour des arbres qui en bordaient la côte. Le vieux Tom gouvernait, et il maintenait le scow aussi près du rivage que le permettaient la profondeur de l’eau et les branches avancées des arbres. Il était impossible de distinguer la moindre chose de ce qui se trouvait dans l’ombre sur le rivage ; mais la jeune sentinelle aperçut la forme d’une voile et le haut de la cabine du scow, et dans le premier moment de surprise il poussa une exclamation en indien à haute voix. Avec cet esprit d’insouciance et de férocité qui était l’essence de son caractère, Hurry prit son mousquet, et fit feu dans la direction du son.

La balle fut dirigée par le hasard, ou par cette Providence qui décide du sort de chacun, et la jeune fille tomba. Suivit alors la scène des torches que nous avons déjà rapportée.

Au moment où Hurry commettait cet acte irréfléchi de cruauté, la pirogue de Judith n’était guère qu’à cent pieds de l’endroit où l’arche était à l’ancre si peu de temps auparavant. Nous avons décrit sa course, et nous devons maintenant suivre son père et Hurry. Le cri poussé par l’Indienne blessée fit connaître à celui-ci l’effet du coup qu’il avait tiré, et lui annonça en même temps que sa victime était une femme. Il tressaillit à ce résultat imprévu, et il fut un moment en proie à des émotions contradictoires. D’abord il se mit à rire avec l’insouciance d’un esprit brutal et grossier ; et ensuite sa conscience, arbre que Dieu même a planté dans le cœur de l’homme, mais qui n’acquiert son développement qu’en proportion des soins qu’on en prend dans son enfance, lui fit entendre ses reproches. Pendant une minute, l’esprit de cette créature, moitié de la civilisation, moitié de la barbarie, fut un chaos de sentiments opposés, et il ne savait que penser de ce qu’il avait fait ; mais enfin l’obstination, l’orgueil et ses habitudes, reprirent leur ascendant.