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OU LE TUEUR DE DAIMS.

— Je suis votre lieutenant, Tom Flottant, et votre camarade par-dessus le marché ; mais je n’ai rien de commun avec la neige. Nous sommes en été, et Henry March quitte toujours les montagnes le plus tôt possible quand viennent les gelées.

— Ah ! c’est vous, Hurry Skurry ! — Eh bien ! je vous vendrai une chevelure, — une bonne chevelure, — celle d’un homme fait. — Que m’en donnerez-vous ?

— Pauvre Tom ! cette affaire de chevelures n’a pas tourné à notre profit, et j’ai bonne envie d’y renoncer et de faire un métier moins chanceux.

— Avez-vous une chevelure ? — La mienne est partie. — Comment se trouve-t-on avec une chevelure ? — Je sais ce qu’on sent quand on n’en a plus, du feu et des flammes autour du cerveau, — un déchirement de cœur. — Non, non ; tuez d’abord, Hurry, et scalpez ensuite.

— Que veut dire le vieux Tom, Judith ? On dirait qu’il est aussi las que moi de cette besogne. — Pourquoi lui avez-vous entouré la tête de bandages ? — Ces brigands lui ont-ils donné un coup de tomahawk sur le crâne ?

— Ils lui ont fait ce que vous et lui, Hurry March, vous auriez été si contents de leur faire il n’y a pas longtemps ; ils lui ont pris sa chevelure pour obtenir de l’argent du gouverneur du Canada, comme vous auriez voulu enlever les leurs pour les vendre au gouverneur de New-York.

Judith faisait tous ses efforts pour s’exprimer avec calme ; mais ni son caractère ni ce qu’elle éprouvait en ce moment ne lui permettaient de parler sans amertume. Son ton et ses manières firent que Hurry leva les yeux sur elle avec un air de reproche.

— Voilà de gros mots, dit-il, pour sortir de la bouche d’une fille de Thomas Hutter, quand son père est mourant devant ses yeux.

— Dieu soit loué ! — quelque reproche que ce puisse être pour ma mère, je ne suis pas fille de Thomas Hutter.

— Vous n’êtes pas fille de Thomas Hutter ! — Ne désavouez pas le pauvre homme dans ses derniers moments, Judith ; car c’est un péché que le Seigneur ne pardonne jamais. — Mais si vous n’êtes pas fille de Thomas Hutter, qui est donc votre père ?

Cette question dompta l’esprit rebelle de Judith ; car, au milieu de la satisfaction qu’elle éprouvait en voyant qu’elle pouvait avouer sans crime qu’elle n’avait jamais eu un amour vraiment filial pour le père supposé dont elle venait d’être débarrassée elle avait ou-