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DEERSLAYER

— Eh bien ! je vous le dirai, Deerslayer, répondit Judith, saisissant avec empressement l’occasion de faire l’éloge des qualités qui l’avaient si fortement intéressée dans le jeune chasseur, et espérant, par ce chemin couvert, pouvoir s’approcher plus aisément du sujet qu’elle avait tant à cœur. D’abord, la beauté n’est d’aucune importance dans un homme pour une femme, pourvu qu’il ait l’air mâle, et qu’il ne soit ni contrefait ni difforme.

— Je ne puis être tout à fait de votre avis sur ce point, répondit son compagnon, car il avait une très-humble opinion de son extérieur. J’ai remarqué que les guerriers les mieux faits ont ordinairement pour femmes les plus jolies filles de la tribu, et le Grand-Serpent, qui est admirable quand il a le corps peint, est le favori de toutes les jeunes Delawares, quoiqu’il ait choisi Hist comme si elle était la seule beauté de sa tribu.

— Cela peut être vrai des Indiennes, mais il n’en est pas de même des blanches. Pourvu qu’un jeune homme ait une taille et des membres qui promettent de le mettre en état de protéger sa femme et d’écarter le besoin de sa porte, c’est tout ce qu’elles demandent de lui. Des géants comme Hurry peuvent figurer avantageusement comme grenadiers, mais ils n’obtiennent aucune préférence comme amants. Quant à la figure, un air d’honnêteté qui répond du cœur vaut mieux que la taille, la couleur, les yeux, les dents et tous les autres avantages de ce genre. Ils peuvent plaire dans une femme ; mais qui peut y songer dans un chasseur, dans un guerrier ou dans un mari ? S’il y a des femmes assez sottes pour cela, Judith n’est pas de ce nombre.

— Eh bien ! vous m’étonnez. J’avais toujours cru que la beauté aimait la beauté, comme la richesse aime la richesse.

— Vous autres hommes, Deerslayer, vous pouvez penser ainsi ; mais il n’en est pas toujours de même des femmes. Nous aimons les hommes qui ont un courage intrépide, mais nous désirons qu’ils soient modestes. Pour nous plaire, il faut qu’ils soient habiles à la chasse, braves à la guerre, prêts à mourir pour la droiture, et incapables de céder à l’injustice. Par-dessus tout, nous faisons cas de l’honnêteté, — d’une langue qui n’est pas accoutumée à dire ce que le cœur ne pense pas, et d’un cœur qui puisse prendre intérêt aux autres comme on en prend à soi-même. Une femme dont le cœur est bien placé mourrait pour un mari semblable ; mais l’amant qui n’est que fanfaronnade et duplicité devient bientôt aussi laid à la vue qu’il est odieux au cœur.

Judith parlait avec autant de force que d’amertume ; mais celui