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DEERSLAYER

certains rapports, ce que le monde appellerait quelque avantage sur vous.

— Vous sortez d’une race fort au-dessus de la mienne dans le monde, Judith, et l’inégalité, en mariage comme en amitié, n’amène ordinairement rien de bon. Je parle de cela comme d’une chose imaginaire, car il n’est nullement vraisemblable que, vous du moins, vous puissiez en parler comme d’une affaire pouvant jamais arriver.

Judith fixa ses yeux d’un bleu foncé sur la physionomie franche et ouverte de son compagnon comme si elle eût voulu lire au fond de son âme. Elle n’y vit rien qui indiquât le détour ou la réserve, et elle fut obligé d’en conclure qu’il regardait cette conversation comme une discussion sur une proposition générale et imaginaire, et non sur un fait spécial et positif, et qu’il ne se doutait pas encore qu’elle prît un intérêt de cœur à la solution de cette question. D’abord elle en fut offensée ; mais elle reconnut bientôt qu’il serait injuste de lui faire un crime de son humilité et de sa modestie, et cette nouvelle difficulté donna à la situation de l’affaire quelque chose de piquant qui augmenta encore l’intérêt qu’elle prenait à lui. En ce moment critique un changement de plan se présenta à son esprit, et avec une promptitude d’invention qui appartient particulièrement aux personnes spirituelles et ingénieuses, elle conçut et adopta sur-le-champ un projet dont elle crut que le résultat serait infailliblement de l’attacher à elle, projet qui partait de son imagination fertile et de son caractère décidé. Cependant pour que l’entretien ne se terminât pas trop brusquement, et qu’il ne pût avoir aucun soupçon de son dessein, elle répondit à la dernière remarque de Deerslayer avec la même chaleur et la même vérité que si elle eût persisté dans sa première intention.

— Je n’ai certainement pas lieu de tirer vanité de ma famille, après ce que j’ai lu cette nuit, dit-elle d’un ton mélancolique. J’ai eu une mère, il est vrai, mais je n’en connais pas même le nom ; et quant à mon père, il vaut peut-être mieux que je ne sache jamais qui il était, de peur que je ne parle de lui avec trop d’amertume.

— Judith, dit Deerslayer en lui prenant la main cordialement, et avec un ton de franchise et de sincérité qui alla droit au cœur de la jeune fille, il vaut mieux que nous n’en disions pas davantage cette nuit. Dormez sur tout ce que vous venez de lire et de sentir, et demain matin les choses qui vous paraissent à présent sombres et tristes prendront un aspect plus riant. Surtout ne faites jamais rien par amertume de cœur, ou parce qu’il vous semblerait que vous