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DEERSLAYER

petite remarque que j’ai faite sans vouloir vous offenser. Vous devez savoir vous-même que vous n’êtes pas une beauté ; et pourquoi des amis ne se diraient-ils pas l’un à l’autre ces petites bagatelles ? Si vous étiez beau, ou qu’il fût possible que vous le devinssiez, je serais le premier à vous le dire, et cela doit vous contenter. Si Judith me disait que je suis aussi laid qu’un pécheur, je prendrais cela comme une sorte d’obligation, mais je tâcherais de n’en rien croire.

— Il est aisé à ceux que la nature a favorisés de plaisanter sur ce sujet, Hurry ; mais cela est quelquefois difficile aux autres. Je ne nierai pas que je n’aie moi-même désiré parfois d’être plus beau que je ne le suis. Oui, j’en ai eu le désir ; mais j’ai toujours été en état d’en triompher en songeant combien j’ai connu de gens qui avaient un bel extérieur, mais qui n’avaient intérieurement rien dont ils pussent se vanter. Je l’avouerai, Hurry, j’ai plus d’une fois regretté de n’avoir pas été créé plus agréable à voir, plus semblable à un homme comme vous ; mais j’ai toujours surmonté ce sentiment en réfléchissant combien je suis plus heureux que plusieurs de mes semblables. Je pouvais naître boiteux, et incapable de chasser même un écureuil ; ou aveugle, ce qui m’aurait rendu un fardeau pour moi-même et pour ma famille. J’aurais pu être sourd, ce qui m’aurait mis hors d’état de faire une campagne ou de marcher en vedette, ce que je regarde comme faisant partie des devoirs d’un homme dans des temps de troubles. Non, non, il n’est pas agréable de voir des gens qui sont plus beaux, plus recherchés, plus honorés que vous, j’en conviens ; mais cela peut se supporter quand on sait voir le mal en face, et que l’on connaît les autres dons qu’on a reçus du ciel et les obligations qu’on lui a.

Hurry, au fond, avait le cœur aussi bon que le caractère, et l’humilité de son compagnon l’emporta promptement sur un mouvement passager de vanité personnelle. Il regretta d’avoir parlé comme il l’avait fait de la physionomie de son compagnon, et il chercha à lui en exprimer ses regrets, quoique avec la rudesse des habitudes et des opinions de la frontière.

— Je n’y entendais pas de mal, Deerslayer, répondit-il d’un ton conciliant, et j’espère que vous oublierez ce que je vous ai dit. Si vous n’êtes pas tout à fait beau, vous avez un certain air qui dit plus clairement que toutes les paroles du monde qu’il n’y a rien de laid dans votre intérieur. D’ailleurs, vous n’attachez pas un grand prix à la beauté, et vous en pardonnerez plus aisément une plaisanterie sur ce sujet. Je ne vous dirai pas que Judith vous admirera beaucoup, ce serait vous exposer à un désappointement ; mais il y a