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DEERSLAYER

éviter le coup, ce qui aurait permis de lui en faire un reproche et une honte. Mais il les désappointa par une force de nerfs qui rendit sa tête aussi immobile que l’arbre auquel il était attaché. Il ne voulut pas même avoir recours à l’expédient naturel et ordinaire de fermer les yeux ; les guerriers indiens, les plus vieux et les plus braves, ne s’étant jamais, en pareilles circonstances, refusé cet avantage avec plus de dédain.

À la Corneille succéda l’Élan. C’était un guerrier de moyen âge, connu particulièrement par son adresse à lancer le tomahawk, et les spectateurs attendaient avec confiance une nouvelle preuve de sa dextérité. Il était loin d’avoir la moindre bienveillance pour le prisonnier, et il l’aurait volontiers sacrifié à la haine qu’il avait généralement contre tous les blancs, si le désir de soutenir sa réputation ne l’eût emporté. Il prit sa place tranquillement et avec un air de confiance, leva sa petite hache, avança rapidement un pied, et lança son arme au même instant. Deerslayer vit arriver le tomahawk en tournant, et crut qu’il lui apportait le coup de la mort. L’instrument fatal ne le toucha pourtant pas, mais il attacha sa tête à l’arbre en s’y enfonçant avec une touffe de ses cheveux. Des acclamations générales exprimèrent la satisfaction des spectateurs, et l’Élan lui-même prit malgré lui quelque intérêt au prisonnier, dont la fermeté l’avait seule mis en état de donner une telle preuve d’adresse.

Après lui vint le Garçon-Bondissant. Il entra dans le cercle comme un chien qui saute ou une chèvre qui cabriole. C’était un de ces jeunes gens dont le corps est si élastique, que leurs muscles semblent toujours en mouvement, et une habitude contractée dès son enfance le rendait positivement incapable de se mouvoir autrement. Il était pourtant aussi brave qu’adroit, et il avait acquis de la renommée comme guerrier et comme chasseur. Il aurait obtenu depuis longtemps un nom plus noble, si un Français de haut rang dans le Canada ne lui eût donné ce sobriquet en plaisantant, et il l’avait conservé religieusement comme venant de son père, qui vivait de l’autre côté du grand lac d’eau salée. Le Garçon-Bondissant se plaça en face du prisonnier, et se mit à sauter en le menaçant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, tantôt en front, espérant lui arracher quelque signe de crainte. Cette manœuvre plusieurs fois répétée épuisa enfin la patience de Deerslayer, et il parla pour la première fois depuis qu’il était attaché à l’arbre.

— Lancez votre tomahawk, Huron, s’écria-t-il, lancez-le donc, ou il oubliera ce qu’il a à faire. Vous avez l’air d’un faon qui veut