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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/465

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DEERSLAYER

et la continuation en fut unanimement demandée. Le chef politique, qui désirait incorporer dans sa tribu un chasseur si célèbre, aussi vivement qu’un ministre des finances d’une cour d’Europe désire inventer une nouvelle taxe, cherchait tous les moyens plausibles pour arrêter à temps les épreuves, car il savait fort bien que si elles allaient assez loin pour enflammer les passions féroces de sa troupe, il serait aussi difficile d’empêcher l’écoulement des eaux des grands lacs de son pays que d’arrêter ses guerriers dans leur carrière sanguinaire. Il appela donc près de lui quatre ou cinq des meilleurs tireurs de sa tribu, et leur ordonna de soumettre le prisonnier à l’épreuve du mousquet, en leur recommandant de soutenir leur réputation, et de prouver leur adresse en envoyant leurs balles le plus près possible du prisonnier sans le toucher.

Quand Deerslayer vit ces guerriers d’élite entrer dans le cercle les armes à la main, il éprouva le même soulagement qu’un malheureux qui est depuis longtemps dans les angoisses de la mort, et qui la sent enfin s’approcher. La moindre déviation du point de mire pouvait devenir fatale, puisque la tête du prisonnier étant le but, ou pour mieux dire le point près duquel il fallait que la balle passât sans y toucher, un pouce ou deux de différence dans la ligne de projection devaient déterminer la question de vie ou de mort.

Dans cette épreuve du mousquet, il n’y avait pas même autant de latitude que dans le cas de la pomme de Gessler. L’épaisseur d’un cheveu était tout l’espace qu’un habile tireur se permettait dans une occasion semblable. Il arrivait souvent qu’une balle lancée par une main trop empressée ou trop peu adroite frappait le prisonnier à la tête, et quelquefois un guerrier, exaspéré par le courage et les sarcasmes de la victime, lui donnait la mort avec intention, dans un moment de fureur indomptable. Deerslayer savait tout cela, car il avait passé bien des longues soirées d’hiver dans les wigwams des Delawares à entendre raconter les relations de scènes semblables. Il croyait fermement toucher à la fin de sa carrière, et il éprouvait une sorte de plaisir mélancolique à penser que ce serait son arme favorite qui terminerait ses jours. Cependant une légère interruption eut lieu avant que cette nouvelle scène commençât.

Hetty avait vu tout ce qui s’était passé, et son faible esprit en avait été ému au point de se trouver entièrement paralysé. Peu à peu elle était sortie de cet état presque léthargique, et elle avait été indignée de la manière dont les Indiens traitaient son ami sans qu’il l’eût mérité. Quoique ordinairement timide comme le jeune faon, elle était toujours intrépide pour la cause de l’humanité ; les leçons